Acta Universitatis Lodziensis. Folia Sociologica, 80, 2022
https://doi.org/10.18778/0208-600X.80.07

ESEJ NAUKOWY

Ewa Bobrowska*

Orcidhttps://orcid.org/0000-0002-2909-4800

L’indépendance politique et créatrice les artistes Polonaises à Paris s’ affirment

Résumé. Le recouvrement de l’indépendance de la Pologne en 1918 a fondamentalement changé la situation de la colonie artistique polonaise à Paris, y compris celle des femmes artistes. Un certain nombre de motifs d’émigration artistique ont perdu leur raison d’être, comme l’affirmation de l’identité nationale polonaise, la nécessité d’une libre expression des sentiments patriotiques ou la propagande pour la restauration d’un État indépendant. Le problème de l’enseignement artistique supérieur pour les femmes, qui était pressant pendant la période des Partitions, a également trouvé progressivement une solution dans l’État renaissant. Le nombre de femmes artistes polonaises à Paris a visiblement diminué dans l’immédiat après-guerre. Celles qui y sont restées, comme Olga Boznańska, Mela Muter, Alicja Halicka ou Stefania Łazarska, se sont concentrées sur le développement de leur carrière d’artistes professionnelles. Notre article propose une analyse de la professionnalisation des femmes artistes polonaises, soit dans le domaine de la peinture de portraits traditionnellement reconnue comme spécialité féminine, soit dans les arts décoratifs. La situation dramatique des artistes pendant la guerre, causée, entre autres, par l’effondrement du marché de l’art, a entraîné un développement rapide de ce domaine, dans lequel les femmes ont atteint la maîtrise, comme en témoigne l’Exposition des arts décoratifs de Paris de 1925.

Mots clés: femmes artistes polonaises, artistes polonais à Paris, art polonais de la première moitié du XXe siècle, art polonais à Paris, art polonais à l’étranger, professionnalisation des femmes artistes, arts décoratifs, arts appliqués, peinture de portrait, Olga Boznańska, Mela Muter, Alicja Halicka, Stefania Łazarska.


Depuis les dernières décennies du XIXe siècle, « Paris est le sol traditionnel des initiatives polonaises. Toutes les traditions de notre art s’y joignent » écrivait Antoni Potocki [Paryż – jest klasycznym gruntem polskich poczynań. Wszystkie tradycje sztuki naszej z nim się zrosły] (Potocki 1904 : 393). Les Polonais y viennent pour se former, suivre des nouvelles tendances et développer leurs carrières d’artistes, profiter des ressources exceptionnelles qu’offre la capitale française en termes des richesses artistiques, comme les collections privées et celles de musées, des expositions, le marché de l’art animé. Ils s’y s’installent également pour goûter à la liberté politique, nourrir leurs aspirations patriotiques et indépendantistes et entreprendre des actions dans ce sens. Était-ce vrai encore entre-les-deux-guerres ?

La proclamation de l’indépendance de la Pologne libère ses artistes de l’obligation de lutter pour elle. Les sujets dits « patriotiques » peuvent désormais être délaissés sans qu’il soit reproché à l’artiste de ne pas se montrer suffisamment « engagé ».

La condition des femmes artistes polonaises au tournant du XXe siècle, à l’époque où elles commencent à se professionnaliser, est complexe. Même si officiellement elles ont la possibilité de participer à la vie artistique, elles ne constituent par ex. que 15% des exposants, dans les expositions de la Société des Amis des Beaux-Arts de Cracovie (Bobrowska 2019 : 58). La première association des femmes artistes, Le Cercle des artistes polonaises (Koło Artystek Polskich) voit le jour en 1899 et tente d’apporter un peu d’équilibre à la scène artistique dominée par les hommes[1]. L’association organise, la même année, la première exposition des femmes qui malheureusement ne rencontre qu’un écho médiatique faible et plutôt négatif. Contrairement à ce qu’on pouvait s’attendre, d’autres expositions non-mixtes s’ensuivent d’une façon très ponctuelle : en 1901, une exposition des esquisses et des arts appliqués à Cracovie ; en 1907, une « Exposition des peintures de femmes », à Zachęta à Varsovie avec une cinquantaine de participantes ; en 1909, l’« Exposition collective du Cercle des artistes polonaises » (Wystawa Zbiorowa Koła Artystek Polskich) organisée par la Société des Amis des beaux-arts de Cracovie ; en 1917, la « Première exposition des artistes polonaises » organisée par l’Union des femmes artistes à Lwów (Lviv) (Bobrowska 2019 : 56–69).

L’État de Pologne ressuscité fait évoluer la condition des femmes du point politique et sociétal : dès l’indépendance du pays, les Polonaises obtiennent le droit de vote par le décret du 28 novembre 1918. Aussi, elles sont libres de fonder des groupes artistiques, comme Kolor (La Couleur), Fresk (La Fresque), ou Ars Feminae qui organisent des expositions non-mixtes. L’Union des Artistes Polonaises de Lwów (Lviv), créée en 1917, en fut la championne, avec plus de dix expositions non-mixtes montées dans la période d’entre-les-deux-guerres, à Lwów (Lviv) même ou dans d’autres villes.

Dans la dernière période des partages de la Pologne, le problème le plus brûlant pour les jeunes talents féminins est la formation artistique[2], et plus exactement son manque, notamment au niveau supérieur, au moins jusqu’en 1904, date de la création de l’École des beaux-arts à Varsovie qui sera dès le départ ouverte aux élèves des deux sexes. Jusqu’à cette date, les jeunes femmes n’avaient comme opportunité que les cours dispensés au Baraneum (les Cours supérieurs pour femmes Adrian Baranowski) à Cracovie ou des écoles artistiques privées, souvent éphémères, dont le niveau d’enseignement fut variable et non garanti. Les voyages à l’étranger devaient pallier ce manque et furent, effectivement, très à la mode. Contrairement aux artistes hommes qui choisissent d’abord Munich comme lieu d’apprentissage attirés par l’Académie royale des beaux-arts, les femmes, auxquelles cet établissement est fermé, préfèrent Paris, notamment pour son réseau des académies libres qui dispensent un enseignement de bon niveau, souvent par des professeurs de la prestigieuse École des beaux-arts, et s’adaptent à des besoins des étrangers et étrangères. Les Polonaises s’y rendent depuis les années 1880 (Bobrowska 2012 : 11), en nombre important : dans les années 1890–1918, elles sont environ 160 ce qui constitue un quart de tous les artistes polonais venus en France à cette époque.

L’indépendance de la Pologne modifie profondément la donne. Les opportunités d’enseignement au niveau supérieur s’accroissent au pays : l’Académie des beaux-arts de Cracovie s’ouvre officiellement aux femmes en 1919, et les accueille dès 1920[3] (Bobrowska 2021). L’École des beaux-arts de Varsovie, fermée en 1920, puis rouvre ses portes en 1923, toujours pour les élèves des deux sexes. Enfin, l’Université Stefan Batory à Wilno (Vilnius) ressuscitée en 1919 sera dotée d’un département des beaux-arts ouvert aussi bien aux hommes qu’aux femmes. En 1920/21, ce département accueille 34 étudiants (réguliers et auditeurs libres), dont 14 femmes (41%) (Spis wykładów i skład uniwersytetu w roku akademickim 1920–21 1921 : np [42]). Un an plus tard le nombre d’étudiants augmente et atteint 81 personnes dont 43% des femmes (Spis wykładów i skład uniwersytetu w roku akademickim 1921–22 1922 : np [60]). Ainsi, les jeunes Polonaises n’ont plus besoin de quitter leur pays pour se former.

La proclamation de l’indépendance crée un grand bouleversement au sein la colonie polonaise à Paris. Certains artistes y reviennent après un exil ou le service militaire. D’autres rejoignent la Pologne renaissante et essaient d’y retrouver leur place. Voici comment le résume l’un des rédacteurs de Polonia, un journal publié à Paris :

Notre colonie artistique aussi bien celle permanente que celle temporaire commence à s’éveiller à la vie, au travail après de longues années de guerre, d’existence au jour le jour, de l’aumône forcée pour des « bénéfices » de toutes sortes, sans un sous dans la poche, après des années de tourments de toutes sortes… Celui-ci enleva l’uniforme militaire, celui-là renonça à la politique par laquelle il importuna en vain lui-même et les autres… La Pologne existe… Il est temps alors de ne plus lambiner, se mettre au pinceau, à la palette, au clavecin, au burin ou tout simplement à la bouteille d’encre (Bobrowska-Jakubowska 2004 : 133 d’après Ze świata 1920).

Les associations et les organisations des émigrés polonais n’ont plus la même raison d’être, comme aux temps des partages. Les efforts pour maintenir l’identité nationale ne sont plus nécessaires, puisque l’État indépendant s’en charge. Cependant, la patrie ressuscitée impose une autre obligation – celle de la promotion de l’art polonais à l’étranger, notamment sur la scène parisienne considérée alors comme la capitale mondiale de la création. Elle se fera, entre autres, à travers des expositions organisées soit par les autorités polonaises elles-mêmes, soit sous leur patronage. Ainsi, en 1919, il y a eu l’Exposition franco-polonaise d’Art et de Souvenir au Musée des Arts Décoratifs, en 1920, l’exposition Quelques artistes polonais à la Galerie Barbazanges organisée par l’association France-Pologne, en 1921, l’Exposition d’Art polonais au Salon de la Société Nationale des beaux-arts ou en 1922 celle de la « Jeune Pologne » à la Galerie du Musée Crillon. D’autres ont suivi jusqu’en 1939.

Les associations des artistes polonais à Paris ne sont plus de la première nécessité. En témoignent les vaines tentatives de ressusciter la Société des artistes polonais à Paris entreprises dans les 1918–1921. Il faut attendre 1922 pour qu’un nouvel essai de former une association des artistes polonais en France, entrepris à l’initiative de Maryla Szczytt-Lednicka, Jadwiga Bohdanowicz, Jan Rubczak, Józef Hecht, Marian Paszkiewicz et Wacław Zawadowski (Bobrowska-Jakubowska 2004 : 135 d’après Syndykat 1922), réussisse. La nouvelle structure se veut en premier lieu un syndicat, dont le but serait le soutien aux artistes dans leur vie quotidienne et professionnelle. L’association rassemble une trentaine d’artistes. Ce groupe, comme les autres plus tôt, ne survivra aux va-et-vient constants de ses membres.

Si à la veille de la Première Guerre mondiale la colonie artistique polonaise compte environ 80 femmes (Bobrowska 2012 : 11), les chiffres pour le début des années 1920 sont plus modestes, avec seulement un peu plus d’une dizaine de Polonaises prenant part aux Salons parisiens. En majorité, ce sont celles qui y sont déjà installées depuis l’avant-guerre, comme Boznańska, Muter ou Halicka ou celles qui y sont arrivées pendant les hostilités, comme Tamara de Łempicka. Il faudra attendre que la situation se stabilise en Pologne pour voir de nouvelles générations, comme les membres du groupe de Kapistes, Hanna Rudzka-Cybisowa et Dorota Seydenmann, voyager dans la capitale française en 1924.

Jouant plusieurs rôles, dont celles de mère, d’épouse, d’amante, ou de militante, les créatrices polonaises émigrées aspirent avant tout à leur professionnalisation. Elles savent gérer leurs carrières. La guerre et l’effondrement du marché de l’art qu’elle avait entraîné, ont bouleversé le monde artistique. Si le portrait reste encore un champ d’action où les femmes excellent, les arts appliqués et décoratifs, vers lesquels les artistes se sont tournés par nécessité pendant la période des hostilités acquièrent leurs lettres de noblesse.

Trois célèbres portraitistes représentant trois générations sont alors : Olga Boznańska, née en 1865, Mela Muter, née en 1876 et Tamara de Łempicka, née en 1898. Nous nous arrêterons sur la carrière des deux premières.

L’ascension de la carrière de Boznańska est brutalement interrompue par la guerre qui constitue une épreuve particulièrement dure pour cette artiste sensible et profondément pacifiste. Une fois la guerre terminée, elle continue son chemin de portraitiste de renom, notamment auprès des Américains, et récolte les fruits de son travail acharné depuis le début de sa carrière. Elle reçoit des nombreux prix et distinctions, même si sa peinture qui n’est pas immédiatement accessible et demande à être méditée, supporte mal la concurrence des mouvements d’avant-garde comme fauvisme ou cubisme dominant la scène artistique des années folles. En automne 1920, l’artiste revient pour quelques mois à sa ville natale de Cracovie. Voulait-elle tester la possibilité du retour définitif en Pologne ? Plusieurs de ses amis lui conseillent, sans succès, cette solution. Mais, elle entretient des relations avec la nouvelle Pologne et sa vie artistique, est un membre actif de Comité d’organisation de l’Institut Polonais des Beaux-Arts en 1924 et la même année est décorée de la Croix d’Officier de l’ordre Polonia Restituta. En 1929, ses tableaux sont exposés à la Powszechna Wystawa Krajowa (exposition nationale générale) à Poznań. En 1938, à la Biennale de Venise a lieu son exposition individuelle. L’artiste est décorée de la croix de commandeur de Polonia Restituta. Même si la peintre vit dans des conditions matérielles très difficiles, l’État polonais reconnaît au moins ses mérites en art et l’apprécie comme l’ambassadrice de l’art polonais à l’étranger.

Cadette de 11 ans de Boznańska, Mela Muter (Maria Melania Mutermilch) se rend à Paris en 1901 avec son mari et son fils d’un an. Issue d’une famille juive aisée, elle voyage beaucoup, expose abondamment, se forge une place au sein de la colonie polonaise puis entame une carrière internationale. La rencontre avec un jeune militant français de gauche, Raymond Lefebvre la propulse dans des cercles pacifistes et socialistes français, dont Paul Vaillant-Couturier, et d’hommes de lettres, comme Henri Barbusse, Anatole France ou le Prix Nobel de la littérature, Romain Rolland. Malgré une série de douloureuses épreuves – la perte de son compagnon en 1920 puis les décès de son père et de son fils en 1923 –, les années 1920 constituent pour Muter une période d’expansion artistique. Après un voyage en Pologne en automne 1922 à l’occasion de la mort de son père, elle revient à Varsovie en 1923, où elle a une grande rétrospective à la Société de l’Encouragement des beaux-arts Zachęta. A Paris, elle entretient des relations avec de nombreuses célébrités artistiques, comme Antoine Bourdelle, Albert Gleizes et sa femme Juliette Roche, François Pompon, Chana Orloff ou Diego Rivera, avec des musiciens comme Edgar Varèse ou Arthur Honegger, ainsi qu’avec des diplomates et des aristocrates internationaux qu’elle immortalise dans sa peinture. Très appréciée pour ses puissants portraits, mais aussi pour ses paysages et ses natures mortes, son succès financier lui permet de commander une villa au célèbre architecte, Auguste Perret. Bien que fidèle à son style immédiatement reconnaissable, « violent, impassible dans sa violence, aigu, tendu jusqu’au cri, à la Van Gogh » (Goth 1913), elle n’hésite pas à explorer de nouveaux champs artistiques, par exemple le cubisme, comme en témoigne son Nu cubiste peint vers 1919–1923. Extrêmement populaire dans le milieu international des femmes artistes comme un exemple de la réussite, elle a de nombreuses élèves et connaissances qu’elle introduit dans le monde de l’art, notamment une certaine Mlle Scoffield, Américaine, avec laquelle elle séjourne à Collioure, ou l’Allemande Anta Rupflin. Bien que parfaitement intégrée à la communauté internationale de Paris, elle sera toujours une membre active de la communauté polonaise.

C’est aussi bien dans le champ de l’art « pure » et des arts décoratifs que se situe l’activité d’Alice (Alicja) Halicka. Issue d’une famille juive convertie au catholicisme, la jeune artiste se rend à Paris en 1912 pour continuer ses études. Le mariage avec son compatriote, le peintre cubiste Louis Marcoussis (Ludwik Markus), l’introduit dans la « bande de peintres cubistes », tels Juan Gris, Pablo Picasso et Georges Braque, mais aussi auprès des poètes et écrivains d’avant-garde comme Guillaume Apollinaire, Max Jacob... Elle expérimente également le cubisme, notamment pendant la guerre, en absence de son mari enrôlé à la Légion étrangère. Cependant, Marcoussis, qui considère « qu’un seul cubiste suffisait dans une famille » (Warnod 1974 : 1), n’apprécie guère ses essais cubistes... Épouse obéissante, elle accepte et change la direction de ses recherches (Birnbaum 2011 : 129–138). Le couple effectue un voyage en Pologne en 1919, puis en 1921, sans pour autant prendre une décision du retour au pays natal. Les conditions matérielles après la guerre, la naissance de sa fille, ainsi que la volonté de privilégier la carrière artistique de son mari cubiste, obligent Halicka à gagner de l’argent dans le domaine des arts appliqués. Elle réalise les dessins de textiles et de papiers peints pour des maisons aussi réputées que Bianchini-Ferier, Ducas ou Rodier. Elle se consacre également à l’illustration des livres. Vers 1923, Halicka entame des essais avec les collages réalisés à partir de différents matériaux, comme le papier, les textiles, les boutons, la passementerie, ou la dentelle qu’elle colle sur papier, puis monte sur toile. Les œuvres achevées sont encadrées sous verre. La princesse Murat les baptisera Romances capitonnées (Murat 1925 : 3). Il faut rechercher leurs origines à la fois dans la collection d’images d’Épinal que possédait son mari mais également dans son immersion dans l’univers du textile et de la mode (Millers 2017). Halicka puise l’inspiration pour ces scènes figuratives dans le cirque, la musique et les œuvres d’art de grands maîtres, comme Goya, Delacroix, Monet, Seurat (Millers 2017). Elles racontent toutes une histoire et les personnages qui les animent peuvent être considérés comme des « poupées en bas-relief ». Halicka les expose d’abord à Paris dans les années 1920, puis à New York dans les années 1930, où elle travaille à la décoration des salons de beauté d’Helena Rubinstein, et à la scénographie et aux costumes de théâtre, notamment des ballets. Quelques Romances capitonnées ont été collectionnées par Helena Rubinstein et Katherine Dreier (Gross 2006 : 320).

Stefania Łazarska, installée à Paris depuis 1912, fonde en 1915 l’Atelier artistique polonais pour s’assurer ainsi qu’à ses amis une source de revenus. Elle rassemble une trentaine d’artistes pour fabriquer des poupées en tissu selon une technologie qu’elle a soigneusement élaborée. Ces poupées – exposées abondamment en France, et promues aux États-Unis par le célèbre pianiste Ignacy Paderewski et sa femme[4] rencontrent un grand succès. Elles s’inspirent du folklore et des contes polonais ainsi que de chefs d’œuvres de la peinture, dont l’Infante de Velázquez. Après la guerre, Łazarska, soutenue par son époux, ouvre également une galerie rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris. Elle y propose de l’art décoratif : des poupées, figurines, boîtes, œufs de Pâques, coussins, abat-jours parfois en forme de poupées, sacs, fleurs confectionnées à partir de coquillages, bibelots, porte-chapeaux, marionnettes, masques et costumes, fétiches pour auto et d’autres beaux objets (Bobrowska-Jakubowska 2004 : 147–150). Ses poupées puisent à présent dans le folklore des provinces françaises, et même celui des colonies, en montrant leur influence sur le costume féminin français (Myśliński 2017 : 65–70). L’artiste se lance aussi dans la décoration d’intérieur. En 1927, elle réalise quatre panneaux de grand format en batik sur bois pour la salle du petit théâtre Le Guignol du paquebot Île-de-France ; navire décoré par les plus grands noms de l’art décoratif de l’époque : Émile Jacques Ruhlmann, Robert Mallet Stevens ou René Lalique. Destinés à un jeune public, ces panneaux – L’Arche de Noé, Le Chaperon rouge, La Lampe d’Aladin et Le Château en Espagne – illustrent des contes et des histoires populaires d’une façon simplifiée et stylisée, et sont peints avec des couleurs vives et joyeuses (Myśliński 2017 : 65–70). Une filiale de l’atelier de Łazarska, dirigée par la peintre Wanda Michalska-Popławska, fut ouverte à Varsovie après la guerre. En 1932, a lieu une exposition rétrospective des poupées de Stefania Łazarska au Musée de l’Industrie à Cracovie qui résume toute la richesse de sa production dans le domaine de l’art décoratif.

Certaines des anciennes collaboratrices de Łazarska, les peintres Nina Alexandrowicz, Zofia Piramowicz, Reno (Irena Hassenberg), Fryda et Tamara Frankowska, lancent leur propre activité dans le domaine de l’art décoratif. La sculptrice, peintre, scénographe et styliste Sara Lipska travaille entre autres avec les Ballets russes, depuis son arrivée à Paris en 1912, ensuite avec la maison de couture Myrbor de Marie Cuttoli. Elle ouvre sa propre boutique de mode d’abord rue Belloni, puis avenue des Champs Elysées. Ses vêtements se distinguent par la préciosité des tissus et la richesse des broderies qui semblent constituer sa marque de fabrique. Sara Lipska est aussi une amie proche d’Antoine – Antoni Cierplikowski, coiffeur qui a révolutionné l’image de la femme en inventant entre autre la coupe à la garçonne –, elle dessine le décor intérieur de ses appartements parisiens, notamment sa « maison de verre » rue Saint Didier, puis l’appartement avenue Paul Doumer, ainsi que ses extravagants costumes pour les bals masqués (Ziembińska 2012 : 82). Elle dessine aussi les couvertures de son magazine consacré à la mode Antoine Document publié dans les années 1930. Sara Lipska a également collaboré, tout comme Alice Halicka, avec la reine de cosmétiques Helena Rubinstein.

La peintre, graveure et illustratrice Sonia Lewitska (Lewicka) s’identifie parfois polonaise comme sa mère et parfois ukrainienne comme son père. Arrivée à Paris en 1905, elle peint des scènes figuratives pleines de poésie, ainsi que des paysages et des portraits riches en couleurs qui font penser au folklore ukrainien. Son excellente maîtrise de la gravure sur bois, dont « l’abondance des ornements et la densité des compositions trouvaient leurs racines dans le baroque ukrainien » (Susak 2012 : 79), en fait une illustratrice et décoratrice de livres hors du commun.

Les conséquences de la guerre comme la diminution de la population masculine et la nécessité de s’assurer les moyens de subsistance, non seulement à elles-mêmes, mais souvent aussi à leurs familles, ainsi que l’avancement de la lutte du mouvement en faveur de l’émancipation des femmes offrent aux artistes polonaises à Paris des opportunités de professionnalisation inespérées. Le portrait reste, comme avant, le domaine privilégié qui leur permet de gagner leur vie et accéder à la notoriété. L’art décoratif, considéré traditionnellement comme un domaine féminin par excellence, cesse d’être considéré comme une activité domestique et acquièrent les lettres de noblesse. Si la nouvelle réalité leur demande de jouer de nouveaux rôles, comme celui de la « femme moderne » dans son apparence, ses mœurs, ses relations familiales y compris sa maternité, l’activité dans le domaine des arts appliqués à la décoration, à la mode, au théâtre leur offre de nouvelles fonctions : celles de créatrice – conceptrice, de collaboratrice et souvent de cheffe d’entreprise.

L’indépendance de la Pologne a également une grande influence sur leur situation : elle les libère de la charge de servir la nation et de pratiquer un art engagé, même si les actions de la promotion de l’État ressuscité passent par la promotion de l’art et la diplomatie culturelle. Cependant, c’est souvent l’État lui-même qui endosse ce rôle, soit en organisant, soit en assurant le patronage des expositions et d’autres actions culturelles. Les artistes polonais qui durant les partages de la Pologne furent obligés de lutter tous seuls pour leur reconnaissance peuvent bénéficier du lobbying en leur faveur et compter sur un support diplomatique qui a si cruellement manqué pendant la période de partages. Dans l’entre-deux-guerres, l’émigration n’est pas considérée comme une trahison de la patrie, comme ce sera le cas pendant la période communiste, mais plutôt comme une position privilégiée pour faire de la diplomatie culturelle, comme en témoignent des expositions polonaises à Paris rassemblant aussi bien des artistes du pays que ceux de l’émigration. Enfin, en octroyant le droit de vote aux femmes dès le début de son existence, l’État de Pologne reconnait leur place dans la société ce qui leur donne confiance et énergie dans leurs propres entreprises et carrières.



* Ewa Bobrowska, Chercheuse indépendante et Terra Foundation for American Art, Paris, e-mail: ewabj@live.fr
https://orcid.org/0000-0002-2909-4800



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Spis wykładów i skład uniwersytetu w roku akademickim 1921/22, 4 (1922), Universitas Vilnensis Batoreana, Uniwersytet Stefana Batorego w Wilnie, istnienia wszechnicy rok 257, Wilno, np [p. 60]

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Przypisy

  1. Sa fondation constitue vraisemblablement une réponse à la création de la Société des Artistes Polonais « Sztuka » inaugurée à Cracovie en 1897, presque exclusivement masculine. L’une des très rares exceptions fut Olga Boznańska, admise en 1898.
  2. La formation artistique au niveau supérieur sera également un problème pour les artistes hommes.
  3. Les étudiantes constituent 17% des effectifs de l’académie la première année.
  4. Helena Paderewska leur consacre une brochure intitulée Madame Paderewski’s Dolls publiée à New York en 1915.

Artystki polskie w Paryżu wobec odzyskanej niepodległości Polski

Abstrakt. Odzyskanie przez Polskę niepodległości w 1918 roku zmienia zasadniczo sytuację polskiej kolonii artystycznej w Paryżu, w tym również twórczyń. Szereg przyczyn artystycznej emigracji straciło rację bytu, jak choćby afirmacja polskiej tożsamości narodowej, potrzeba swobodnego wyrażania uczuć patriotycznych, propaganda na rzecz odzyskania niezależnego bytu państwowego. Także palący w okresie rozbiorowym problem wyższego wykształcenia artystycznego dla kobiet znajdował stopniowo rozwiązanie w odrodzonym państwie. Liczba artystek polskich w Paryżu wyraźnie zmalała w okresie bezpośrednio powojennym. Te, które pozostały, jak Olga Boznańska, Mela Muter, Alicja Halicka czy Stefania Łazarska, koncentrowały się na rozwoju swojej kariery jako profesjonalnych artystek. W naszym artykule proponujemy analizę profesjonalizacji artystycznej Polek, bądź to w tradycyjnie uznanej jako specjalność kobiet domenie malarstwa portretowego, bądź to w sztukach dekoracyjnych. Dramatyczna sytuacja twórców w czasie wojny, spowodowana m.in. załamaniem się rynku sztuki, doprowadziła bowiem do gwałtownego rozwoju tej dziedziny, w której mistrzostwo osiągnęły właśnie kobiety, jak wykazała Wystawa Sztuk Dekoracyjnych w Paryżu w 1925 roku.

Słowa kluczowe: artystki polskie, artystki polskie w Paryżu, polska sztuka I połowy XX wieku, polska sztuka w Paryżu, polska sztuka za granicą, profesjonalizacja artystek, sztuki dekoracyjne, sztuka stosowana, malarstwo portretowe, Olga Boznańska, Mela Muter, Alicja Halicka, Stefania Łazarska.


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