Les représentations métaphoriques de phénomènes liés à la pandémie dans des discours « négationnistes » de la COVID-19
https://orcid.org/0000-0003-0559-9166
Université de Łódź
agnieszka.woch@uni.lodz.pl
RÉSUMÉ
La présente recherche porte sur les discours autour de la pandémie de coronavirus SARS-CoV-2. Nous étudierons les représentations métaphoriques de phénomènes liés à la pandémie, présentes dans les discours niant l’existence de la COVID-19. Nous nous pencherons sur les caractéristiques de la rhétorique négationniste en analysant en particulier les métaphores conceptuelles, y compris celles insistant sur les sèmes de la lutte, qui ont une longue tradition dans les discours de la santé publique et dans le discours politique. Nous aborderons également la visée persuasive de ces figures de discours et la manière dont elles sont employées. Le corpus de l’étude englobe des commentaires, souvent dysphémiques, relevés entre février 2020 et décembre 2022 sur les réseaux sociaux dans quatre groupes Facebook, dont deux polonais et deux français, qui protestent contre le régime sanitaire et abordent des sujets tels que la pandémie, le port du masque, les gestes barrières, les traitements, les vaccins antiviraux ou le milieu médical.
MOTS-CLÉS – Métaphores, COVID-19, lexique pandémique, langage médiatique, discours négationnistes
Metaphorical Representations of Pandemic-Related Phenomena in the ‘Denialist’ Discourses of COVID-19
SUMMARY
We focus on the discourse surrounding the SARS-CoV-2 coronavirus pandemic. We examine the metaphorical representations of phenomena associated with the pandemic that are present in the discourses that deny the existence of COVID-19. We will consider the characteristics of denialist rhetoric, analysing in particular the conceptual metaphors, including those that insist on the themes of struggle that have a long tradition in public health and political discourse. We will also examine the persuasive purpose of these figures of speech and the ways in which they are used. The corpus of the study includes comments, often dysphemic, collected between February 2020 and December 2022 on social networks in four Facebook groups, two Polish and two French, protesting against the health regime and addressing topics such as the pandemic, wearing masks, barrier gestures, treatments, antiviral vaccines and the medical sector.
KEYWORDS – Metaphors, COVID-19, pandemic lexicon, media language, negationist discourse
Introduction
Parmi les discours sur la pandémie de coronavirus (SARS-COV-2), les propos des autorités médicales, politiques et médiatiques, ainsi que les discussions souvent émotionnelles des internautes commentant la nouvelle réalité sur les réseaux sociaux, se sont multipliés. Nous avons pu observer à plusieurs reprises le recours à la même métaphore, répandue dans les discours politiques et de santé publique, à savoir celle de la guerre. Elle a notamment été employée par le président de la République française, Emmanuel Macron, qui a déclaré :
Nous sommes en guerre, en guerre sanitaire, certes : nous ne luttons ni contre une armée, ni contre une autre Nation. Mais l’ennemi est là, invisible, insaisissable, qui progresse. Et cela requiert notre mobilisation générale. Nous sommes en guerre. Toute l’action du gouvernement et du Parlement doit être désormais tournée vers le combat contre l’épidémie. De jour comme de nuit, rien ne doit nous en divertir (Extrait du discours d’Emmanuel Macron prononcé le 16 mars 2020).
Ce discours, dans lequel le champ lexical de la guerre est représenté par des termes tels que « lutter », « armée », « ennemi », « mobilisation », « combat » et qui souligne la nécessité d’arrêter le virus, ressemble stylistiquement à certains commentaires publiés sur les réseaux sociaux, comme, à titre d’exemple, « Bonsoir à tous, ils veulent nous remettre le pass surtout ne jamais rien lâcher, à la vie à la mort nous nous battrons jusqu’au bout !! Fighting ». Avec une différence pourtant : il est émis par un détracteur qui invite les membres d’un groupe Facebook à se battre contre le régime sanitaire imposé par les autorités politiques.
On observe que la crise sanitaire, liée à la COVID-19, a non seulement enrichi le vocabulaire quotidien en néologismes et en termes employés auparavant par les experts :
On ne parle pas aujourd’hui comme hier […] Qui, en janvier, parlait de confinement ? De distance sociale ou de gestes barrières ? Qui, à part une amicale de pneumologues, glissait dans la conversation respirateur, frottis nasal, incubation et patient zéro entre la poire et le fromage ? À l’heure actuelle, tout le monde manie ces vocables savants avec une virtuosité qui réclame un passage sous microscope. (Zimmermann, 2020 : 1)
mais également a donné lieu à ce que Fassin (2007 : 108) appelle une « véritable paranoïa iatrogénique », à savoir « la croyance en l’existence de conspirations utilisant des ressources médicales et notamment pharmacologiques dans le but d’éliminer une population ». Ce phénomène « appartient à une catégorie plus large impliquant de nombreux objets autres que le médicament, des organes suspectés d’être volés aux organismes génétiquement modifiés, des attentats terroristes aux catastrophes dites naturelles. Elle concerne les pays pauvres mais aussi les nations riches » (Geisser, 2020 : 14).
La présente étude franco-polonaise s’inscrit dans le contexte évoqué ci-dessus et porte sur les caractéristiques et la visée persuasive de la rhétorique de déni. Elle s’appuie sur un corpus d’articles et de commentaires postés dans quatre groupes « anti- », deux privés et deux publics, entre 2020 et 2022 : Coronavirus Covid-19 Groupe Français Partage d’Information, Polacy przeciwko fałszywej pandemii koronowirusa (‘Les Polonais contre la fausse pandémie du coronavirus’), Anti masque, anti vaccin, anti dictature sanitaire et fiers de l’être !!!, COVID-19 – Dyskusje / Informacje / Szczepienia / Testy (‘COVID-19 – Discussions/Informations/Vaccins, Tests’).
1. Un nouveau « négationnisme » dans les discours « rassuristes »
Le 15 juillet 2021, le site d’information Mediapart a déclaré que « les personnes comparant la campagne de vaccination contre la Covid-19 à la Shoah participent à une forme de négationnisme » afin de justifier ainsi « la suppression de commentaires virulents d’abonnés au nom de la décence », tels qu’entre autres : « Le Covid a été créé pour tuer une partie de la population », « ceux qui ne sont pas vaccinés vont être persécutés comme les juifs pendant la guerre », ou encore « le pass sanitaire est la nouvelle étoile jaune »[1].
Il est à noter que des mèmes représentant une infirmière avec une seringue placée au-dessus de la grille d’entrée du camp de concentration nazi Auschwitz-Birkenau sont apparus sur les réseaux sociaux. L’inscription cynique Arbeit macht frei (‘Le travail rend libre’), qui y figure, a été remplacée par Pfizer macht frei. Cette image a été accompagnée d’un commentaire soutenant que l’entreprise pharmaceutique Pfizer aurait fourni des médicaments destinés à des expérimentations sur des êtres humains dans les centres de détention nazis.
Parmi les thèmes privilégiés que nous avons identifiés dans des discussions entre les membres des groupes Facebook examinés, que l’on peut qualifier en même temps de « négationnistes » et de « rassuristes », on retrouve le coronavirus, la pandémie, les mesures de prévention (surtout le port du masque, le confinement et la vaccination), le lobby médical et enfin les personnes qui observent le régime sanitaire.
Quant au discours négationniste, qui « emprunte les outils de sa rhétorique à toutes les aptitudes de la raison » (Danblon, 2010), une analyse préliminaire du corpus nous a permis d’observer le recours constant aux arguments d’autorité, aux « modalisateurs » signalant le degré d’adhésion de l’énonciateur aux contenus énoncés (les adverbes, les italiques, les guillemets, les termes subjectifs : affectifs et/ou évaluatifs) que nous développerons dans une autre étude, ainsi qu’aux métaphores conceptuelles qui nous intéressent particulièrement et qui constituent l’objet de la présente recherche.
2. La métaphore en tant que figure de discours
Seignour observe que tout discours a une visée persuasive et qu’il
[…] ne se contente pas de décrire un réel qui lui préexiste mais construit la représentation du réel que le locuteur souhaite faire partager par son allocutaire. Il en résulte que pour la plupart des spécialistes du langage, énoncer un discours, c’est vouloir agir sur autrui. Le discours a ainsi un objectif performatif : c’est un acte volontariste d’influence. La plupart des discours, notamment politiques, publicitaires et managériaux, sont alors considérés comme appartenant à la classe des énoncés argumentatifs, dont la finalité réside dans la recherche d’adhésion du destinataire. (Seignour 2011 : 5)
Cette adhésion peut être obtenue, entre autres, par le biais de figures de style. Nous sommes d’accord avec Marc Bonhomme (2014) qui considère la métaphore comme une figure de discours à « potentiel argumentatif » apte à influencer les représentations sociales et médiatiques. Rappelons qu’elle est activée en discours par des conditions externes, donc le contexte dans lequel elle apparaît. Son potentiel argumentatif « détermine son ancrage dans le champ de l’argumentation » et « ses traits argumentatifs intrinsèques justifient qu’on la considère comme une forme d’argument, elle apparaît davantage comme un support d’argument(s) quand on examine le rôle décisif de son entourage discursif pour son efficacité pragmatique » (Bonhomme, Paillet, Wahl, 2017 : 7). Ainsi, le décryptage correct du sens argumentatif d’une métaphore peut constituer la clé du sens de tout un discours étant donné que « les métaphores (largement culturelles) ne sont pas de simples façons de parler : elles sont constitutives de notre pensée, de notre expérience du monde, et informent ce que nous appelons la réalité » (Lakoff et Johnson, 1985 : 13).
Focalisons-nous donc à présent sur les représentations métaphoriques des phénomènes liés à la pandémie dans des commentaires de déni publiés dans les quatre groupes Facebook étudiés, ainsi que sur les expressions permettant de concrétiser le virus invisible et de comprendre comment les utilisateurs de ces groupes conçoivent la réalité pandémique.
2.1. Les représentations métaphoriques du coronavirus et de la pandémie
Nous avons relevé dans notre corpus trois représentations principales du coronavirus. Premièrement, le danger est banalisé et présenté comme une insignifiante inflammation des muqueuses (1) « un petit rhume ». Deuxièmement, les internautes insistent sur le fait qu’il s’agit (2) « d’un germe venu d’ailleurs » dont les principaux responsables sont les étrangers et plus précisément les habitants d’Asie vu que l’on qualifie ce virus de « chinois », d’« exotique », d’« asiatique » ou encore de « virus jaune », réactivant ainsi des attitudes xénophobes[2]. Enfin, nous avons relevé des propos insistant sur les représentations du virus comme facteur déclenchant des troubles mentaux. Tel est le cas du terme (3) « koronaświrus », composé des mots « corona » et « dingue ».
La pandémie a été représentée comme un phénomène imaginaire et inexistant (« plandémie », « conte de fées ») : (4) Trzecia fala tak zwanej “plandemii” atakuje na całej rozciagłości. Ktoś kto wierzy w “Baśno o Pandemii” stoi na bardzo niskim poziomie intelektualnym, nawet jeśli jest wysoko wykształcony[3]. (‘La troisième vague de la prétendue « plandémie » attaque. Celui qui croit au « conte de fées pandémique » a un niveau intellectuel très bas, même s’il est très instruit’) ; ou bien comme un jardin zoologique : (5) Zoo a my małpki w klatce (‘Le jardin zoologique et nous, les singes en cage’). Une autre métaphore relevée est celle d’un plan de contrôle : (6) Un plan international d’asservissement et de réduction des populations mené par des lobbys ; (7) Od prawie roku krok po kroku realizowany jest orwellowski plan maksymalnej kontroli wszystkich razem. I każdego z osobna (‘Depuis un an, on réalise, pas à pas, un plan orwellien de contrôle maximal de nous tous. Et de chacun d’entre nous’). La métaphore la plus puissante met en parallèle la pandémie et « un crime » orchestré et horrible : (8) Les peuples du monde doivent comprendre que la “pandémie de Covid” orchestrée est le plus horrible crime de masse jamais commis dans l’histoire de l’humanité. C’est “l’Occident libre” qui a organisé et perpétré ce crime horrible.
2.2. Les représentations métaphoriques des mesures de prévention
Les solutions adoptées pour freiner la pandémie ont également fait l’objet de débats acharnés sur les réseaux sociaux. La prévention a été représentée comme une forme de soumission, voire d’esclavage, et les citoyens présentés comme des esclaves : (9) Chcą z nas zrobić niewolników (‘Ils veulent faire de nous des esclaves’). Les internautes ont considéré certaines mesures comme trop sévères : (10) Drakońskie obostrzenia covidowe spowalniają gospodarkę (‘Des restrictions draconiennes liées au coronavirus ralentissent l’économie’) et comme une sorte de régime totalitaire : (11) La dictature sanitaire est En Marche !
Les moyens de protection qui ont soulevé de nombreuses controverses parmi les membres des groupes étudiés ont été tout d’abord les masques, symbolisant, à leur avis, un acte de soumission : (12) Le port du masque représente la soumission à cette dictature sanitaire et montre que l’on obéit gentiment et que l’on se laisse faire et représentés à l’aide de la métaphore d’un appareil à museler les animaux : (13) Les anti-masque français refusent « la muselière » ; (14) Ludzie są zmęczeni, wytresowani i zdezorientowani. Wychodząc z domu nie zapominają kagańca, bo im go wdrukowano w mózgi (‘Les gens sont fatigués, stressés et confus. Ils n’oublient pas la muselière imprimée dans leur cerveau en quittant la maison’). Nous avons également relevé des exemples comparant le masque à un vieux chiffon : (15) A wszystko przez najstraszniejszą chorobę świata, na którą wystarczy założyć szmatę na pysk i już jesteś bezpieczny! (‘Et tout cela à cause de la maladie la plus terrible au monde, contre laquelle il suffit de mettre un vieux chiffon sur le visage pour être en sécurité !’).
Quant au confinement, il a été mis en parallèle avec une assignation à résidence au cours de laquelle les enfants seraient soumis au dressage et les personnes âgées éliminées comme des ordures : (16) Dzieci pozamykane w aresztach domowych są tresowane do życia w nowej normalności, starsi zaś przeznaczeni do utylizacji (‘Les enfants enfermés en résidence surveillée sont dressés pour vivre dans une nouvelle normalité, tandis que les plus âgés sont destinés à être éliminés’).
Enfin, les commentaires les plus émotionnels concernaient les campagnes de vaccination. Les métaphores des vaccins insistaient sur les sèmes de danger et de nuisibilité. Nous avons pu observer le recours aux théories du complot qui suggéraient que des produits chimiques nuisibles étaient injectés dans les veines des patients : (17) Cudowne chemikalia zwane szczepionką (‘Des produits chimiques miracle dénommés vaccins’) et des micro-puces : (18) Matt Hancock, secrétaire d’état à la Santé UK, Janvier 2021. “Dites-lui (à Bill Gates) que vu le nombre de personnes à qui je fais injecter ses puces, il m’en doit une”. Il a bien dit PUCE ; (19) zachipować się (‘s’implanter une micro-puce’). Dans le cas de la partie polonaise du corpus, nous avons relevé une mise en parallèle ludique des vaccins avec des insectes, à savoir (20) szczypawki (‘les perce-oreilles’), apparaissant à une haute fréquence dans les commentaires des négationnistes polonais.
D’autres représentations considéraient la campagne de vaccination et les vaccins comme faisant partie de la politique de « développement séparé » : (21) STOP À L’APARTHEID VACCINAL ! ; (22) Non à la ségrégation sanitaire !, ou qu’ils constituaient une expérimentation sur les humains ou encore (23) un petit-risque-roulette-russe avec la santé, voire un crime : (24) Zbrodnia na narodzie (‘Le crime contre la nation), (25) les vaccins ARNm sont des machines à tuer qui détruisent les défenses immunitaires et un menace totalitaire : (26) Le « vaccin » est un tremplin vers la tyrannie déguisé en empathie et en devoir envers votre communauté.
2.3. Les représentations métaphoriques des milieux médicaux et des personnes respectant le régime sanitaire
Les exemples de notre corpus visaient également le milieu médical. Concernant ce dernier, les représentations étaient souvent dysphémiques et renvoyaient au crime et au nazisme : (27) STOP AU PHARMACO-FASCISME !, (28) Nie daj się zastraszyć farmaceutycznym volksdojczom (‘Ne soyez pas intimidé par les Volksdeutsche pharmaceutiques’), (29) Zasrane pomioty diabła Mengele (‘La progéniture merdeuse du diable Mengele’), (30) C’est des malades et des assassins. Les représentants des professions médicales ont également été mis en parallèle avec des charlatans : (31) Un tas de charlatans à la solde de Big Pharma et des malades mentaux : (32) Niektórzy z tych psychopatów już otwarcie mówią, że nie da się przeprowadzić masowych szczepień, jeśli media społecznościowe są otwarte. (‘Certains de ces psychopathes disent déjà ouvertement que les vaccinations de masse ne peuvent pas être effectuées si les réseaux sociaux sont ouverts’).
Quant aux personnes respectant le régime sanitaire, elles ont été représentées comme des moutons sous l’emprise de la peur : (33) J’avais pour ma part signalé l’arnaque des faux tests dès le 10 avril 2020. Mais les moutons apeurés continuent de courir se faire “tester”, mais aussi comme des marionnettes qui se laissent manipuler : (34) Za nimi podążają kolejne marionetki. (‘D’autres marionnettes les suivent’) et les adeptes fanatiques de la nouvelle « religion covidienne » : (35) No i covidianin uważa, że jak ktoś nie wierzy w covida, to powinien być spacyfikowany. Wyznawcy covida chcą wszystkich, którzy w covida nie wierzą, a wyznają inne religie, zamknąć w obozach koncentracyjnych i zmusić ich żeby wszyscy wyznawali jedną, jedynie słuszną covidiańską religię (‘Et un covidien croit que si quelqu’un ne croit pas au covid, il devrait être pacifié. Les adeptes de la Covid veulent que tous ceux qui ne croient pas au covid mais professent d’autres religions soient enfermés dans des camps de concentration et forcés à professer l’unique, la seule et vraie religion covidienne’).
Conclusions
Nous partageons l’avis de Kerbrat-Orecchioni qui observe que « parler, c’est sans doute échanger des informations ; mais c’est aussi effectuer un acte, régi par des règles précises, qui prétend transformer la situation du récepteur et modifier son système de croyances et/ou son attitude comportementale » (1980 : 84). Les expressions métaphoriques condensent le message et construisent la représentation du réel que les détracteurs souhaitent faire partager par leurs allocutaires. Dans leurs discours, la métaphore n’est pas un ornement ; elle a une visée persuasive. Son rôle est de consolider une vision du monde partagée par la communauté des « anti-tout et fiers de l’être » en forgeant leur attitude face à la pandémie.
Les représentations métaphoriques de la pandémie et des mesures de prévention connotent émotionnellement le contenu du discours et expriment avant tout le déni de la nécessité de mettre en place un régime sanitaire, perçu comme une forme de soumission voire comme une limite à la liberté. Elles semblent transnationales : nous avons constaté la présence des mêmes images et concepts dans notre corpus bilingue (une banale inflammation, une épidémie imaginaire, un plan de contrôle, un crime orchestré, un régime totalitaire, une expérimentation, une muselière, des puces, etc.).
Les métaphores sont reprises par les utilisateurs des réseaux sociaux, mais aussi par la presse, ce qui facilite la propagation des faits alternatifs. Les commentaires examinés trahissent un profond désaccord, voire une forme de mépris envers les autorités politiques et sanitaires, ainsi que les personnes qui se plient aux mesures de sécurité, ces dernières étant abusivement comparées à la politique des nazis dans les camps d’extermination.
Les particularités de cette rhétorique ne sont pas nouvelles et elles rappellent les stratégies persuasives mises en œuvre par les autorités pendant la pandémie, avec toutefois un objectif différent. Par contre, les images et les arguments avancés sont caractéristiques des mouvements populistes et anti-vaccins. L’étude belge menée par les chercheurs de la VUB (Vrije Universiteit Brussel) et de l’EU DisinfoLab[4] a mis en évidence la convergence des narratifs dans les récits conspirationnistes autour de la pandémie et ceux qui ont émergé autour de l’invasion russe de l’Ukraine (les crimes contre l’humanité, la persécution des juifs, la figure de l’étranger, ici « contamineur », etc.). Vu que les métaphores sont constitutives de notre réalité et qu’« il s’agit d’un trope présent partout dans la vie de tous les jours, non seulement dans le langage, mais dans la pensée et l’action » et que « notre système conceptuel ordinaire, qui nous sert à penser et à agir, est de nature fondamentalement métaphorique » (Lakoff, Johnson, 1985 : 13), elles méritent, en tant que figures à fort potentiel persuasif, d’être examinées afin de mieux contourner les nouvelles alternatives et les discours conspirationnistes de notre temps.
Autorzy
Bibliographie
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Bonhomme, Marc, Paillet, Anne-Marie, Wahl, Philippe (éds.) (2017), Métaphore et argumentation, Louvain-la-Neuve, Academia/Éd. L’Harmattan
Danblon, Emmanuelle (2010), « Les “théories du complot” ou la mauvaise conscience de la pensée moderne », in Les rhétoriques de la conspiration (E. Danblon, N. Loïc éds), Paris, CNRS Éditions, p. 57-72, http://books.openedition.org/editionscnrs/16250, consulté le 08/07/2023 ; https://doi.org/10.4000/books.editionscnrs.16250
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Sitographie
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Notes
- 1 https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/pass-sanitaire/pour-mediapart-les-commentaires-liant-vaccination-et-shoah-sont-une-forme-de-negationnisme-2ebdcf80-e591-11eb-b328-3bb388b4cb1f, consulté le 16/03/2023.
- 2 Geisser (2020) observe d’ailleurs que « la pandémie du Covid-19 a été un moment révélateur des fractures sociales, territoriales, économiques, et des conceptions ethno-nationalistes qui traversent nos sociétés actuelles ». Il souligne qu’« au début de la crise du coronavirus, en décembre 2019, ce sont surtout des lectures culturalistes et racialistes de la pandémie qui ont dominé, l’assimilant à un “virus chinois”, un “virus asiatique” ou encore un “virus jaune” ».
- 3 L’orthographe originale des commentaires des internautes a été gardée.
- 4 Pour en savoir plus, consulter, https://belux.edmo.eu/from-infodemic-to-information-war/.