Les verbes néologiques à valeur négative et positive : analyse formelle et pragmatique
https://orcid.org/0000-0002-1080-2758
Université de Łódź
filip.kolecki@edu.uni.lodz.pl
RÉSUMÉ
Le présent article examine les verbes néologiques dans une perspective discursive. Les unités lexicales analysées ont été recueillies à partir de grands corpus de presse, avec le soutien de plateformes telles que Néoveille et Sketch Engine. Ces outils ont non seulement permis d’identifier de nouvelles unités verbales, mais aussi de les ancrer dans un contexte linguistique et socio-politique plus large. À travers une analyse formelle et pragmatique, l’étude explore le lien entre la valeur sémantique d’un verbe et les circonstances de son énonciation. Les verbes sont ainsi classés en fonction des connotations positives ou négatives qu’ils acquièrent selon les contextes, et de la force illocutoire qu’ils véhiculent. Cette approche discursive offre un éclairage sur la dynamique de la création néologique verbale en tant que réponse aux mutations sociales, aux discours politiques et aux évènements mondiaux actuels, soulignant le rôle clé de ces phénomènes dans l’évolution de l’usage linguistique contemporain.
MOTS-CLÉS – La néologie, le verbe néologique, la mélioration, la péjoration
Neological Verbs with Negative and Positive Connotations: A Formal and Pragmatic Analysis
SUMMARY
This article examines neological verbs from a discursive perspective. The lexical items under analysis were collected from extensive press corpora, with the support of platforms such as Néoveille and Sketch Engine. These tools not only facilitated the identification of new verbal units but also enabled their placement within a broader linguistic and socio-political context. Through formal and pragmatic analysis, the study explores the relationship between a verb’s meaning and the circumstances of its enunciation. The verbs are thus categorised according to the positive or negative connotations they acquire in specific contexts and through the illocutionary force they convey. This discursive approach provides insight into the dynamics of verbal neologisation as a response to social change, political discourse, and current world events, highlighting the key role these phenomena play in shaping contemporary language use.
KEYWORDS – Neology, the neological verb, melioration, pejoration
Introduction
Il n’est pas surprenant que le choix des mots et l’intention qui les sous-tend influencent fortement l’orientation d’une conversation. De ce fait, nous considérons la réalité et les phénomènes qui nous entourent comme positifs ou non. Cela nous permet d’indiquer et d’évaluer ce qui est bon ou mauvais au sens large. Le verbe, quant à lui, ne fait pas exception à la règle.
Au fil des siècles, le verbe en tant que partie du discours, a été traité par les grammairiens de manière majoritairement descriptive. Tant dans les grammaires françaises anciennes que dans les grammaires françaises plus récentes, on retrouve un trait qui est relativement récurrent. Indépendamment de l’auteur, le verbe est considéré comme le « mot essentiel » de la proposition et le mot-tête du groupe verbal (Gaiffe et al., 1936 : 272 ; Riegel et al., 2021 : 215) ou même le « mot roi » tel qu’il figure dans la grammaire de Hamon (1966 : 94). En conséquence, il est avant tout étudié au sein de la syntaxe. Néanmoins, dans le présent article nous souhaitons mettre davantage l’accent sur le verbe, et plus spécifiquement sur le verbe néologique[1], en tant qu’élément faisant partie de l’énoncé relevant du discours médiatique. Par conséquent, il s’avère nécessaire de prendre en compte de nombreux facteurs périphériques aux comportements communicatifs de l’humain, considérés comme purement linguistiques, tout en respectant le contexte situationnel de l’énoncé. Ainsi, nous analyserons les verbes néologiques apparus de 2010 à 2023 et circulant dans la langue française ces dernières années en nous appuyant sur leur valeur pragmatique dans le discours, ainsi que sur leur sens, qui demeure en règle générale, subordonné au contexte et qui dépend de la valeur illocutoire de l’énoncé.
Notre corpus de recherche a été collecté à l’aide de la plateforme de repérage et de suivi des néologismes Néoveille et à partir de trois journaux français, à savoir Le Monde, Le Figaro et Libération. Le corpus ainsi rassemblé constitue au total 730 unités lexicales classifiées comme verbes néologiques. Parmi ces verbes, nous en avons retenus 80 véhiculant un sens mélioratif ou dépréciatif. Ensuite, nous les avons soumis à l’analyse pendant laquelle ils ont été traités dans le logiciel Sketch Engine afin d’obtenir une perspective plus large du matériel recueilli et de fournir le contexte des unités étudiées qui est souvent omis par des plateformes telles que Néoveille et en même temps indispensable à l’analyse sémantico-pragmatique. Du point de vue formelle, nous trouvons principalement des verbes dénominaux parmi lesquels nous distinguons les verbes formés à partir d’un nom propre et d’un nom commun, des verbes déverbaux autochtones et empruntés ainsi que des verbes désadjectivaux. Normalement, ils sont constitués par dérivation. Il est question d’ajout du suffixe -er ou -iser comme marque flexionnelle verbale ou du préfixe dé-/dés-.
1. Ancrage théorique
L’homme, lorsqu’il apprend à connaître le monde et ses nombreuses composantes (choses, personnes, phénomènes, actions, processus, évènements), les juge presque constamment (Tymiakin, 2017 : 201). L’évaluation du monde, c’est donc le fait d’attribuer à des qualités, des actions ou d’autres objets de pensée des valeurs spécifiques: positives (la mélioration) ou négatives (la péjoration)[2]. En abordant, cependant, les aspects pragmatiques de la communication, souvent superposés au code linguistique, il nous semble pertinent d’évoquer la réflexion de John Searle – à la suite de celle d’Austin – sur la structure des actes de parole selon laquelle nous en distinguons trois types : actes locutoires, illocutoires et perlocutoires (Searle, 1975). Les plus intéressants du point de vue de notre recherche seront les deux derniers en tant qu’actes de parole indirects car ils expriment respectivement l’intention du message ainsi que sa réception chez l’interlocuteur. Par cela, on en vient à la façon dont les locuteurs dotent leurs énoncés de nuances positives ou négatives. D’après Leszek Tymiakin (2017), il est question d’une triade communicationnelle qui consiste en valorisation, émotions et expression. Dans cette optique, tout énoncé est pourvu d’une certaine valeur illocutoire et il suscite une gamme d’émotions considérable. Les mécanismes de la mélioration et de la péjoration évoqués tout à l’heure reposent principalement sur le lexique (dé)valorisant et des structures grammaticales exprimant une opinion ou un jugement, mais aussi sur des figures de style telles que l’ironie, la métaphore ou l’hyperbole (Sicińska, 1999 : 104 ; Kamińska-Szmaj, 2007 : 63-69), qui, dans la conception de Kerbrat-Orecchioni (1977) prennent la forme d’expressions émotionnelles et valorisantes ou d’expressions à valeur connotative. De cette manière, les verbes recueillis seront divisés en verbes qui expriment une valeur négative et ceux qui sont porteurs d’une valeur positive, ainsi qu’en fonction du mécanisme qui est à l’origine de cette division, à savoir le mécanisme dérivationnel, pragmatique ou bien le lexique axiologique, dans notre cas, dévalorisant.
2. Les verbes à valeur négative
Ces verbes sont porteurs d’une valeur péjorative étant donné les circonstances de leur apparition, les intentions des interlocuteurs, leur charge émotionnelle ou bien leur structure morphologique. Parmi eux, énumérons des verbes formés à partir de mots à connotation négative, positive et neutres.
2.1. Les verbes à valeur négative formés à partir de mots à connotation négative
Le sens péjoratif de ces verbes dérive de la connotation négative de leurs mots de base. En effet, la valeur péjorative est étroitement corrélée au lexique dévalorisant qui sous-tend leurs connotations négatives.
Ainsi, le fait de traiter les gens comme des marionnettes a donné naissance à marionnetiser. La forte valeur émotionnelle de ce verbe est liée à la démarche consistant à traiter des humains comme des objets, outils de manipulation, comme dans l’extrait suivant[3] :
[1] Ces derniers peuvent à coup sûr manipuler quelques dizaines de parlementaires, mais ils ne pourront jamais « marionnetiser » plus de 11 million d’haïtiens vivant en Haïti et ailleurs.[4]
De même, le verbe délationner, dérivé du substantif « délation », reste un synonyme assez proche du verbe « dénoncer ». Il a une connotation négative en raison de la valeur attachée au terme « délation » qui renvoie à une dénonciation perfide, voire honteuse, d’un individu :
[2] je comprends cette approche professionnelle mais ça donne pas envie de faire contrôler son installation pour se faire délationner par le mec que tu viens de payer.[5]
Black-lister possède le sens de mettre un individu sur une liste énumérant des personnes aux comportements inappropriés. Dès lors, il est possible d’y déceler des connotations négatives, en fonction de l’intention de l’émetteur du message. Ainsi, le verbe devient le symbole de l’exclusion, du mépris ou de la stigmatisation de personnes quelle qu’en soit la raison, comme c’est le cas dans le fragment ci-dessous :
[3] J’aime par-dessus tout la Liberté, et je vois la nouvelle France se soumettre à l’Amérique des cow-boys, désinformer dans tous les médias, traquer toutes les pensées non-alignées, les discréditer, les diffamer, les black-lister […][6].
Le verbe suivant, bullshitter, non standard et sans doute grossier, est basé sur le mot anglais bullshit, et exprime l’action de parler de manière trompeuse, exagérée ou non fondée, souvent dans le but de manipuler les autres. Le contexte dans lequel il apparaît et le message hyperbolique permettent de le classifier parmi les verbes péjoratifs.
[4] Ça m’a pris plusieurs mois avant de faire le deuil de mon CV. Certes, je consta maintenant que ce document dans lequel j’énumérais fièrement mes réalisations était bien futile. D’abord, parce qu’on peut « bullshitter » n’importe quoi pour l’embellir.[7]
Trashiser est aussi un verbe polysémique qui peut prendre la valeur neutre de ‘jeter quelque chose à la poubelle’, comme dans l’exemple suivant :
[5] En bref, j’ai craqué pour un amour de sac où je peux caser presque autant de trucs que dans mon Billy et que j’arrive à trashiser avec mes bonnes vieilles Converse.[8]
Pourtant, il peut aussi désigner l’action de ‘transformer quelque chose en quelque chose de vulgaire ou de mauvais goût’. Ceci est étroitement lié à l’évocation des connotations négatives du mot de base anglophone, trash, à savoir ‘ordure, voyou’ :
[6] Jérôme Commandeur donne son avis sur la télévision d’aujourd’hui : « Je l’ai vue se ‘trashiser’ ».
Le recours relativement fréquent au verbe objectifier, notamment dans les milieux féministes, mais pas seulement, revêt des significations négatives parce qu’il se traduit par l’atteinte aux droits humains fondamentaux en traitant les personnes comme des objets. Ainsi, l’utilisation de ce verbe à propos d’un être humain évoque immédiatement des connotations négatives en attribuant le sens d’un outrage ou d’un reproche.
[7] Pour la majorité des répondantes et répondants, objectifier les femmes pour vendre un produit est considéré comme sexiste.[9]
Si le sens péjoratif d’un verbe découle de sa structure morphologique, il s’agit, par contre, du mécanisme dérivationnel. C’est le cas des verbes formés à partir du préfixe auto- qui amplifie la valeur négative du mot de base, en dirigeant l’action vers son exécutant. De cette façon, les verbes tels que auto-enterrer ou auto-ghettoïser sont considérés comme négatifs.
Le sens littéral du verbe auto-enterrer, à savoir se cacher sous terre d’avoir trop honte (8), peut présenter aussi une connotation politique qui, contrairement aux apparences, est plus proche du sens originel du terme enterrer et décrit le fait de gâcher ses chances et d’aider l’adversaire (9). Le ton du titre suivant s’avère donc moqueur malgré son caractère déclaratif :
[8] J’étais devenu rouge tomate ! Si j’avais put m’auto-enterrer, je l’aurai fait ! J’étais vraiment hyper génée ![10]
[9] Hamon s’auto-enterre : il appellera à voter Mélenchon en cas d’échec au premier tour.[11]
Auto-ghettoïser nous fait référence au mot « ghetto », au sens d’isolement imposé qui introduit l’exclusion. Cette référence historique a servi de base pour la création d’un verbe ayant le sens de s’isoler, de s’enfermer dans un ghetto métaphorique, et il a été utilisé par le rappeur Médine dans une de ses chansons :
[10] Qui importe le conflit ? Qui complique les rapports ? Qui crée du repli et du communautarisme ? J’connais aucun gars qui s’est dit ‘je vais m’ auto-ghettoïser[12]
Le dernier mécanisme de la péjoration évoque les aspects pragmatiques. Dans ce cas, le sens du verbe dépend directement de l’intention de l’émetteur donc de la valeur illocutoire de l’énoncé.
Friendzoner est semble-t-il relativement fréquent de nos jours avec 158 occurrences dans Sketch Engine et il doit probablement sa diffusion au développement des sites de rencontres. Son sens dénotatif repose sur le fait de rester dans un espace amical. Toutefois, cette approche n’est en aucun cas considérée comme positive. Normalement, il est question de sentiments blessés et de rejet par un être cher. En conséquence, si nous parlons de quelqu’un qui a été « friendzoné », cela veut dire que l’on se moque de lui ou que l’on compatit, comme dans l’exemple présenté ci-dessous :
[11] Un homme malchanceux vient de se faire friendzoner. Une minute de silence pour tous ses efforts vains et son espoir brisé.[13]
2.2. Les verbes à valeur négative formés à partir de mots à connotation positive
Paradoxalement, il existe également des verbes à valeur négative qui sont formés à partir de mots à connotation positive. Les mécanismes qui conditionnent leur signification restent le mécanisme dérivationnel et pragmatique.
Le verbe qui suit, à savoir dé-disneyifier repose sur le procédé de la préfixation associé au mécanisme dérivationnel. Le préfixe dé- sert à changer le sens du mot de base, qui a normalement une connotation positive. Le verbe qui en résulte reflète une action inverse par rapport à la connotation initiale du mot.
Dé-disneyifier fait référence au monde de Disney souvent trop idéalisé et irréel en termes de relations interpersonnelles et de représentation déformée de certains personnages. Par conséquent, il est ici question de ‘retirer les aspects ou les références à Disney’ soit trop idéalisées soit trop dévalorisantes en fonction du personnage ou du phénomène donné. Un cas de suppression des aspects féeriques (dans ce cas liés à l’apparence du personnage animé) afin de le présenter comme moins idéal et plus réel peut être vu dans l’exemple qui suit :
[12] Peut-être pour ressembler un peu plus à sa VA et donner à Luz des cheveux bouclés et rendre plus évident qu’elle est bisexuelle non conforme au genre... En gros, « dé-Disneyfier » votre protagoniste Disney.[14]
Un autre mécanisme est le mécanisme pragmatique qui, comme dans le contexte du verbe bisounourser, implique une référence à la culture populaire. En conséquence, ce verbe peut prendre un sens péjoratif dans certaines circonstances.
Un bisounours, en effet c’est un jouet en peluche et un personnage du dessin animé éponyme, À cet égard, nous trouvons le verbe dévalorisant, vu qu’il exprime l’idée d’être infantile, irresponsable et même d’agir de manière naïve ou irréaliste tout comme un nounours de ce dessin animé où le monde représenté est idyllique. Par contre, dans l’exemple ci-dessous le verbe prend un sens différent, à savoir celui d’une attention excessive, voire d’une servilité, des femmes à l’égard des hommes.
[13] J’avoue que je suis pas très intéressée aux réflexions féministes qui se centrent sur les individus, ni à bisounourser les hommes, ou à lire qu’il faut pouvoir autant emmener les garçons à la danse que les filles au foot […].[15]
2.3. Les verbes à valeur négative formés à partir de mots neutres
La dernière catégorie se concentre sur les verbes étant porteur de sens négatif et formés à partir de mots neutres. Comme précédemment, le mécanisme dérivationnel est basé sur le préfixe dé- représentant l’idée de contraire de l’état initial ou de cessation d’une certaine activité.
Dans le verbe déprésidentialiser il est question de limiter le pouvoir du président. Une nuance de sens est toutefois perceptible dans la volonté de donner plus d’autonomie aux institutions publiques en réduisant l’influence du chef de l’État.
[14] […] Paul Alliès rappelle que de l’issue de la présidentielle dépend la possibilité de « déprésidentialiser » nos institutions, passage obligé pour aller vers un régime primo-ministériel parlementaire, et une démocratie […].[16]
Enfin, l’exemple le plus contemporain est celui des évènements survenus en Ukraine. Quel que soit le contexte, il est évident que le verbe désukrainiser, dont la signification est la mieux illustrée dans le passage suivant, porte une forte charge émotionnelle, notamment à cause de la présence du vocabulaire à valeur péjorative intrinsèque :
[15] […] mener une guerre atroce dans l’objectif, selon Dmitri Medvedev, ancien président de la Fédération de Russie, de « désukrainiser » le pays, c’est-à-dire de réduire à néant sa population et sa volonté de faire respecter sa souveraineté.[17]
Il n’en demeure pas moins qu’il est possible de l’utiliser dans d’autres contextes ayant un sens quasi analogue comme dans l’exemple présenté ci-dessus, où l’on remarque également d’autres mots à connotation négative tels que génocide ou crime contre l’humanité :
[16] […] précise le texte consulté par Libération. Ces exactions, dont le « but assumé » est de « russifier », « dénazifier » et « désukrainiser » les mineurs, « sont susceptibles de constituer les infractions sous-jacentes de génocide et de crime contre l’humanité ».[18]
Outre les verbes marqués par le contexte historique ou culturel, nous avons observé dans notre corpus la présence de verbes formés à la base d’un patronyme. Il est avant tout question de noms de famille d’hommes politique ou de sportifs connus. Comme l’a déjà remarqué Alicja Kacprzak (2023 : 174), le sens précis qui découle de ces verbes reste inconnu de ceux qui ne sont pas au fait des affaires politiques ou sportives. Néanmoins, il est toujours possible d’identifier la valeur illocutoire des verbes en question grâce à l’analyse sur le plan pragmatique. Ainsi, les verbes clintoniser, zemmouriser, trumpiser, balladuriser, déblanqueriser et zlataner dont la signification primaire est ‘agir à la façon de Zemmour, Trump, Balladur, Blanquer et Zlatan’, sont également considérés comme porteurs de valeur négative par rapport au comportement et l’activité politique des personnes concernées.
Bien que l’opinion publique connaisse Bill Clinton en particulier de l’affaire Monica Lewinsky et de comportements perçus comme évasifs, le verbe clintoniser prend un tout autre sens et devient plutôt ironique lorsqu’il est juxtaposé au patronyme d’un autre président américain, Donald Trump. Dans cet environnement, nous pouvons supposer qu’il peut être utilisé de manière positive afin de décrire quelqu’un qui est habile dans la communication ou la manipulation des médias. En voici un exemple représentatif :
[17] Donald Trump en phase de normalisation : il semble tellement se normaliser en vitesse accélérée, – il est train de se clintoniser ou se bushiser peut-être.[19]
Zemmouriser, en tant que verbe créé pour refléter le comportement d’Éric Zemmour, un politicien d’extrême droite française, est porteur d’un sens péjoratif du fait avis très radicaux et souvent controversés du personnage. Il en est de même dans le cas de verbe trumpiser, relatif à la politique de Donald Trump aux États-Unis. Prenons donc comme exemple les extraits suivants, en particulier le dernier, qui contient des expressions qui se réfèrent aux comportements courageux, voire agressifs de sauter à la gorge:
[18] Le 27 décembre 2021, l’équipe WikiZédia se coordonne pour zemmouriser Wikipédia.[20]
[19] J’ai l’impression que la situation politique actuelle en France amène le mouvement culturel breton à une LFIsation des esprits, faute d’alternative crédible. De ce fait on melanchonise pour ne pas se zemmouriser.[21]
[20] « D’aboyer en permanence, de sauter à la gorge, de démolir l’autre, c’est une stratégie électorale, il ne faut pas s’y tromper. C’est du Trump, c’est pire que Trump. Certains veulent « trumpiser » la vie politique française ».[22]
Nous retrouvons une situation analogue dans le cas de balladuriser construit sur la base du nom d’Édouard Balladur. Dans l’exemple qui suit, il est à nouveau question de X (Macron) qui adopte le comportement de Y (Balladur) :
[21] J’ai un instinct qui me dit que Macron va se « balladuriser » et se transformer en baudruche. Vouloir à toute force une sixième République comme Mélenchon n’est pas une panacée.[23]
Combiné ainsi au substantif ‘baudruche’ qui le suit, le verbe prend une tournure négative et le sens d’un reproche.
Nous retrouvons également le verbe déblanqueriser dans le sens de ‘rompre avec les pratiques mises en place par Blanquer, rendre l’éducation moins uniforme’, prononcé par Alexis Corbière dans le but de critiquer les réformes au sein du ministère de l’éducation de Jean-Michel Blanquer.
[22] « Nous allons déblanqueriser l’éducation puis nous allons démacroniser la France ».[24]
Il comprends par-là que l’attitude de Corbière à l’égard du gouvernement du président français en fonction représente une approche hostile et négative.
Pour ce qui est de zlataner, il s’agit du style de jeu d’un footballeur suédois, Zlatan Ibrahimovic, célèbre pour son jeu efficace mais non conventionnel et parfois agressif. Dans cette optique, il est question du verbe qui exprime une domination sur l’adversaire de manière outrageante et même humiliante. Par exemple :
[23] A présent que mes ambitions sont affichées, il me reste plus qu’à aller zlataner mes adversaires le lundi soir...[25]
3. Les verbes à valeur positive
Les verbes présentés dans ce chapitre portent une valeur positive. Nous pouvons en distinguer deux catégories : les verbes à valeur positive formés à partir de mots à connotation négative et ceux formés à partir de mots à connotation positive. Tout comme dans le cas des verbes péjoratifs, il est question de deux mécanismes majeurs : le mécanisme dérivationnel ainsi que le mécanisme pragmatique.
3.1. Les verbes à valeur positive formés à partir de mots à connotation négative
Les verbes déconflictualiser et dé-bureaucratiser issus de la préfixation reflètent un sens d’atténuation des problèmes dans la société moderne.
En ce qui concerne le verbe déconflictualiser, il met en valeur le fait de résoudre ou de réduire les conflits ou les tensions qui ont dominé la politique afin de favoriser la coopération.
[24] […] ça n’existe que pour celleux qui veulent invisibiliser ou dépolitiser des conflits, et surtout déconflictualiser le politique.[26]
Avant lui, a été créé dé-bureaucratiser qui lui aussi a un sens positif et fait référence à l’augmentation de l’efficacité de l’administration, voire l’amélioration des relations entre les citoyens et les unités administratives tant à l’échelle nationale qu’européenne. Cela représente une valeur appréciative dans la perspective d’un citoyen ordinaire.
[25] Pour être efficace, nous devons dé-bureaucratiser le processus de décision européen.[27]
3.2. Les verbes à valeur positive formés à partir de mots neutres
Fondés sur le même mécanisme dérivationnel que les verbes précédents, déparisianiser et désenclaver sont classés comme positifs en raison de leur réception par le public français et de la perspective d’une réalité améliorée en France.
Tout d’abord, dans le domaine de l’administration française, nous remarquons le verbe créé à partir du nom de la capitale française, déparisianiser, qui vise à préconiser la décentralisation du pays en tant que méthode de gestion plus efficace.
[26] Et en plus, éloigner le pouvoir central géographiquement de Paris même ne serait pas mauvais, ça permettrait un peu de « déparisianiser » notre pays ![28]
Le verbe suivant, à savoir désenclaver, est partiellement apparenté au verbe précédent car il implique l’idée de sortir d’un isolement géographique ou social et de favoriser l’accessibilité. Dans l’exemple suivant il est à remarquer la valorisation émotionnelle découlant de l’adjectif criante qui accompagne le substantif « nécessité ». Il est donc question d’un lexique valorisant.
[27] Dans un contexte de maîtrise des finances publiques, associé à la criante nécessité de désenclaver nombre de territoires aux perspectives de développement fragiles.[29]
Finalement, nous arrivons à l’aspect pragmatique de la formation de verbes positifs à partir de mots neutres. Dans ce cas, il est à noter que le contexte situationnel influence la réception de ces verbes.
Lorsqu’il s’agit de touristification de certaines régions, nous pouvons avoir une approche positive ou négative de la question. En fonction du contexte, mais aussi de facteurs sociaux extérieurs à la langue, le verbe touristifier peut prendre une tournure négative, voire accusatrice, ou positive, exprimant la joie de voir une région se développer. Voici un exemple illustrant ce dernier cas :
[28] C’est ça qui mérite d’être remis en cause : cette injonction de transformer les territoires, à les « touristifier », y compris parfois au nom du respect de la nature.[30]
Quant au verbe liker, qui a son origine sur le site Facebook, il est possible de distinguer deux sens différents d’après le contexte de l’énonciation. En premier lieu, il s’agit d’un verbe qui exprime l’idée de l’appréciation ou de l’admiration suite à sa fonction primaire sur les réseaux sociaux. En second lieu, ce n’est qu’une action quasi automatique des internautes d’aujourd’hui qui ne contient aucune valeur illocutoire.
[29] Lorsque vous avez une grande communauté, votre évolution est plus simple. Les autres utilisateurs sont plus susceptibles de liker et de suivre un compte qui a plus de followers qu’un autre qui en a beaucoup moins.[31]
Quelques remarques pour conclure
Dans le cadre de cette étude, la sphère discursive la plus productive en verbes néologiques du point de vue quantitatif est certainement le monde politique, qui comprend des verbes basés sur les patronymes des hommes politiques, influents en France et dans le monde, mais aussi des verbes utilisés dans le discours-même des hommes politiques, surtout lors des campagnes électorales.
Nous avons également observé un nombre important d’emprunts à l’anglais ainsi que des verbes néologiques dont la référence est soit culturelle soit historique. Par ailleurs, le sens dénotatif de la plupart des verbes reste neutre, mais le fait même de les utiliser dans un discours leur confère une certaine charge émotionnelle ou les munit d’une nuance positive ou négative en fonction de la réalité extralinguistique et du contexte de l’énoncé.
Dans notre étude prédominent des verbes néologiques à caractère péjoratif qui représentent 59% du corpus collecté (dont la répartition est illustrée par le tableau ci-dessous) :
| Verbes | Nombre d’unités | Pourcentage du corpus |
|---|---|---|
| négatifs formés à partir de mots à connotation négative | 19 | 24% |
| négatifs formés à partir de mots à connotation positive | 5 | 6% |
| négatifs formés à partir de mots neutres | 23 | 29% |
| Somme (péjoratifs) | 47 | 59% |
| positifs formés à partir de mots à connotation négative | 5 | 6% |
| positifs formés à partir de mots neutres | 28 | 35% |
| Somme (mélioratifs) | 33 | 41% |
| Total | 80 | 100% |
Par contre, il existe des verbes dont le sens varie considérablement en fonction du contexte, ce qui rend plus difficile leur catégorisation. Il ne fait toutefois aucun doute que les verbes présentés dans cette étude constituent le reflet du monde actuel et qu’ils sont apparus pour combler des lacunes dans le lexique français. Enfin, ils font surtout partie du discours médiatique sans pour autant figurer dans les dictionnaires français. Une dizaine d’entre eux apparaît quand même dans le Wiktionnaire. On peut, donc, supposer que ce phénomène résulte de la plus grande accessibilité de ce dictionnaire aux utilisateurs en ligne, étant donné que chacun est libre de contribuer à son édition. Nous ne pouvons pas cependant exclure que les verbes dont les occurrences sont les plus nombreuses, n’entrent bientôt dans l’usage courant et dans les dictionnaires renommés. Le corpus est très riche, au moins au niveau des mots de base dérivés des noms propres et de différentes catégories sémantiques auxquelles appartiennent les verbes susmentionnés. Cela permettra d’approfondir cette étude préliminaire dans nos futures recherches.
Autorzy
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Notes
- 1 Compris à la lumière des recherches de Sablayrolles (2019) étant donné qu’il n’a pas encore fait l’objet de beaucoup de recherches par opposition au nom ou à l’adjectif à travers la monographie d’Alicja Kacprzak (2019). Il est donc question de verbes conçus approximativement au cours de la dernière décennie et qui n’apparaissent pas dans les dictionnaires.
- 2 La nomenclature proposée par Finkbeiner, Wiese et Meibauer (2016) nous semble très pertinente, à savoir la mélioration et la péjoration, en tant que dénomination du processus de valorisation du discours de manière positive et négative.
- 3 Tous les exemples cités conservent l’orthographe originale.
- 4 https://www.alterpresse.org/spip.php?article19919, consulté le 31/03/2024.
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