ACTA UNIVERSITATIS LODZIENSIS
Folia Litteraria Romanica 18, 2023
https://doi.org/10.18778/1505-9065.18.04

Anna Krzyżanowska* Orcid

Université Marie Curie-Skłodowska de Lublin

La formule je t’aime et ses fonctions pragmatiques

RÉSUMÉ

L’article propose une description des valeurs illocutoires que la formule je t’aime peut prendre dans un cadre interactionnel spécifique. L’étude du corpus nous a permis de repérer deux types d’emploi de la formule évoquée ci-dessus : un emploi prototypique ou non prototypique. Il s’est avéré que, dans le premier cas, je t’aime sert à réaliser des actes directs, en l’occurrence un acte expressif ou un acte assertif. Dans le deuxième cas, il s’agit d’actes indirects dont l’interprétation se fait à partir des connaissances linguistiques et extralinguistique, ainsi que des capacités d’inférence de l’allocutaire. L’analyse effectuée met également en évidence la nature sociale de l’interaction et l’importance du cadre interactionnel pour l’interprétation des types d’actes de langage dans lesquels la formule je t’aime apparaît.

MOTS-CLÉS — formule expressive, scénario cognitif, valeur illocutoire, polyfonctionnalité

The Formula je t’aime and Its Pragmatic Functions

SUMMARY

The article is a study that proposes a semantic-pragmatic description of the I love you formula. It first presents the formula’s general properties, including its degree of fixation, syntactic autonomy, meaning, and polyfunctional character. Then, particular attention is paid to the different values it can have as a direct or indirect act in a specific interactional framework. The study of the corpus of this work allowed us to identify two types of use of the above-mentioned formula: prototypical and non-prototypical use. In the first case, I love you is used to perform either an expressive or an assertive act. In the second case, it is an indirect act whose interpretation is inferred from the cotext. The analysis also highlights the social nature of interactions and the significance of the interactional context for interpreting the types of language acts in which the I love you formula occurs.

KEYWORDS — expressive formula, cognitive scenario, illocutionary value, polyfunctionality


Introduction

L’objectif du présent article est de décrire les valeurs illocutoires que la formule je t’aime peut revêtir en tant qu’acte direct ou indirect dans un cadre interactionnel spécifique. L’étude proposée s’articule autour du concept de scénario cognitif représentant la situation stéréotypée dans laquelle le locuteur en énonçant la formule je t’aime, fait connaître d’une façon manifeste, son sentiment d’amour à l’égard de son allocutaire (Fillmore, 1985).

Le fonctionnement de la formule je t’aime dans une situation de communication spécifique a déjà fait l’objet d’un certain nombre d’analyses, mais ce sujet continue de susciter de nouvelles réflexions et interprétations. Le statut pragmatiquement complexe de je t’aime empêche d’indiquer nettement à quelle catégorie d’actes de langage cette expression appartient. Par exemple, Kerbrat-Orecchioni (1998 : 24) avance l’hypothèse selon laquelle, je t’aime relève « avant tout de la grande famille des assertifs, déclaratifs et expressifs ». En tant qu’acte assertif, ladite formule sert à engager la responsabilité du locuteur sur l’existence d’un état de choses et la véracité de la proposition exprimée. En revanche, la dimension expressive de je t’aime est liée à un état émotionnel subjectivement éprouvé par le locuteur. En tant qu’acte déclaratif[1], ou semi-performatif, la formule proférée entraîne une transformation radicale de la relation interpersonnelle entre le déclarateur, sujet aimant et son déclarataire, sujet aimé[2] (Kerbrat-Orecchioni, 1998 : 9). Il est à noter cependant que certains critères permettant d’identifier les énoncés performatifs ne peuvent pas être appliqués à je t’aime. À titre d’exemple, citons le critère de paraphrase narrative ou celui de caractère non réfutable de la formule[3] (Kerbrat-Orecchioni, 1998 : 6). La question suivante qui se pose est de savoir si, au moment où l’énoncé je t’aime est proféré, toutes les conditions de réussite sont suffisantes pour permettre la réalisation d’un acte déclaratif.

La formule je t’aime est également considérée soit comme un acte illocutoire à dominante déclarative avec des buts secondaires expressif, assertif et, dans une certaine mesure, directif (Biagioli, 1998 : 2, 10), soit comme un énoncé ayant la force illocutoire de toute déclaration d’amour, qui engage le locuteur et active chez l’allocutaire un réseau de normes et d’attentes en rapport avec un lien entre eux (Eraly, 1996 : 45). Cette dernière hypothèse constitue le point de départ pour l’étude des fonctions que je t’aime peut assumer dans un cadre énonciatif spécifique. La tâche s’avère d’autant plus intéressante que, comme le montrent des travaux récents, une formule donnée peut prendre différentes valeurs suite à une dérivation illocutoire, et selon le contexte dans lequel elle apparaît.

1. Méthodologie

1.1. La notion de formule

Le terme formule reste traditionnellement associé à « paroles rituelles, expression consacrée par la politesse, cliché ou slogan » (TLFI, GRLF). Étant donné nos objectifs, nous essayerons de circonscrire la notion de formule à travers ses propriétés linguistiques pertinentes. Notre champ d’analyse se limite aux expressions qui ont un caractère figé ou semi-figé sur le plan syntaxique, et dont les sens compositionnel ou non compositionnel sont stabilisés par la contrainte pragmatique. Il s’agit d’énoncés autonomes associés à un contexte d’énonciation spécifique, qui impose ou favorise leur emploi à la place d’autres expressions qui pourraient a priori convenir tout autant (Fléchon et al., 2012 : 83). En tant qu’énoncés reproduits par le locuteur lui-même en situation, les formules constituent souvent une réaction conventionnelle face au comportement de l’interlocuteur. Elles peuvent aussi correspondre à des commentaires au sujet de ce qui s’est produit ou se passe. Notons encore que la dimension interactionnelle de ce type d’énoncés est fondamentale (Grossmann et Krzyżanowska, 2020 : 61). Les formules sont des réalisations d’actes de langage parmi lesquels, on peut repérer une sous-classe de formules expressives marquant les attitudes perçues à travers différentes émotions (ex. Je suis désolé.) et des jugements (ex. C’est une honte !).

Afin de constituer un corpus d’appui, nous avons exploité les bases de données Frantext (www.frantext.fr) et ORFEO (Outils et Ressources sur le Français Écrit et Oral), (http://www.projet-orfeo.fr/). La collecte de données a également été effectuée sur trois réseaux sociaux : Twitter, Facebook et des forums de sites des journaux en ligne[4].

1.2. La notion d’acte de langage

Dans notre étude, nous faisons référence à la typologie de Vázquez-Orta, Dirven et al. (2002 : 193) selon laquelle les expressifs et les déclaratifs sont inclus dans la catégorie superordonnée des actes de langage constitutifs. En revanche, les directifs et commissifs font partie de la catégorie superordonnée des actes de langage obligatifs. Précisons que les expressifs et les déclaratifs requièrent un contexte social ritualisé (on ne félicite pas quelqu’un sans occasion spéciale). En ce qui concerne les commissifs et les directifs, dans les deux cas, le locuteur impose une obligation, soit à l’allocutaire, soit à lui-même.

À la lumière de ce classement, la formule je t’aime peut être rangée parmi les expressifs ou les commissifs, vu les fonctions qu’elle peut assurer dans un contexte particulier. En ce qui concerne son appartenance à la sous-catégorie des déclaratifs, deux questions se posent : « Dans quelle mesure la formule dont nous parlons permet d’instaurer une nouvelle réalité sociale ? » « Est-ce que je t’aime peut être qualifié d’acte performatif ? ». Nous essayerons de répondre à ces deux questions dans la section 4.3.

2. Je t’aime et ses caractéristiques générales

Avant de passer à l’étude des fonctions pragmatiques que la formule je t’aime peut réaliser lors des échanges interpersonnels, nous allons décrire la structure formelle et lexico-sémantique de celle-ci. Sur le plan syntaxique, cette formule est composée d’un verbe bivalent (transitif) appelant un complément [+ hum], « une personne particulière à laquelle on voue un fort sentiment d’attachement » (Bochnakowa, 2016 : 53). Elle se distingue par le figement d’ordre structurel et se présente comme un énoncé autonome, associé à un contexte d’énonciation spécifique (Grossmann et Krzyżanowska, 2020 : 62). Sur le plan dénotatif, la signification de je t’aime peut être paraphrasée comme suit :

a) X aime Y, où X est [+hum] et Y est [+hum] : X éprouve de l’affection ou de l’amitié pour Y [+hum] (un sentiment habituel plus ou moins profond, d’intensité modérée, avec désir de réciprocité) (adapté de Picoche, 1986) ;

b) X [+hum] éprouve pour Y [+hum], une passion amoureuse, impliquant généralement une dimension sexuelle, avec désir de réciprocité.

En revanche, Wierzbicka propose la définition se situant sur le plan conceptuel : X aime Y : X veut causer du bien à Y (Wierzbicka, 1971 : 94).

Au niveau pragmatique, l’énoncé je t’aime est susceptible de revêtir des valeurs illocutoires distinctes pouvant être réalisées dans un contexte particulier. L’étude du corpus nous a permis de repérer deux types d’emploi de la formule évoquée ci-dessus : un emploi prototypique ou non prototypique. Dans le premier cas, je t’aime réalise un acte de langage direct, à savoir celui qui résulte du contenu propositionnel de l’énoncé proféré par le locuteur exprimant son état émotionnel. L’énonciation est faite à la première personne du présent de l’indicatif. Nous avons aussi affaire à la première occurrence de l’énoncé adressé à la personne concernée.

Pour ce qui est de l’emploi non prototypique, la formule je t’aime qui sert à réaliser des actes de langage indirects se voit assigner diverses valeurs illocutoires. Précisons que la compréhension du message reste alors strictement liée à l’interprétation contextuelle (voir la section 4).

3. Les emplois prototypiques de je t’aime

Dans ce type d’emplois, la formule qui nous intéresse peut véhiculer soit la valeur illocutoire expressive, soit la valeur assertive. Regardons de plus près quelques exemples illustrant les deux valeurs évoquées.

3.1. Je t’aime en tant qu’acte expressif

Comme il a été déjà signalé, la déclaration d’amour prototypique convoque le locuteur proférant la formule et son allocutaire à qui celle-ci est adressée. L’acceptation de cette déclaration prend souvent la forme d’un Moi aussi :

[1] Nos yeux, l’un dans l’autre. Elle a approché ses lèvres de mon oreille. Un murmure. Je t’aime. Et j’ai dit moi aussi. (Sorj Chalandon, Retour à Killybegs, 2011)

Les conditions de réussite de l’acte semblent être remplies. L’émotion est sémiotisée[5] par la locutrice à l’aide de la formule je t’aime, celle-ci étant prononcée à la première personne du présent de l’indicatif. On sous-entend que le sujet aimant éprouve réellement de l’affectivité à l’égard du sujet aimé, avec qui il est uni par un lien émotionnel profond. La relation amoureuse appelle une réciprocité[6].

En tant qu’acte expressif, je t’aime, possède le potentiel de force illocutionnaire qui transparait à travers la fonction émotive. Remarquons que la déclaration d’amour se fait ici dans l’intimité, car le couple cherche à préserver une partie de leur vie privée. La locutrice parle de sorte que seul son interlocuteur puisse entendre (elle parle à l’oreille et murmure). Notons que la structure syntaxique de la formule reflète une relation de dépendance qui existe entre le sujet aimant et le sujet aimé. Le premier se montre actif et exerce une influence sur son allocutaire, celui-ci étant son objet d’amour. La relation de familiarité et celle d’une relative égalité de statut entre les interlocutaires[7] sont mises en évidence grâce à l’emploi du « tu ».

À l’heure actuelle, sur les réseaux socionumériques, ce sont les amis qui font office de témoins de la dédicace de l’amour exprimé, alors que le locuteur avoue son amour et remercie sa bien-aimée, en absence physique de celle-ci[8], pour le bonheur qu’elle lui donne. De cette façon, il souhaite montrer et prouver ses sentiments à la fois « pour satisfaire un besoin du couple, mais aussi dans un besoin social d’exister aux yeux des autres dans cette relation d’amour » (Lemeilleur, 2017 : 14, 16) :

[2] Stromae : sa tendre et rare déclaration d’amour à sa femme, Coralie Barbier
Dimanche 26 juin à l’occasion de son anniversaire. Sur Instagram, il a publié une photo de celle avec qui il est marié depuis 2015 : Coralie Barbier.
« Joyeux anniversaire à mon épouse, celle qui m’a donné ce fils magnifique, qui m’apporte tant tous les jours dans le privé comme dans le travail. Je t’aime Coralie », écrit en légende le chanteur.
(https://www.rtl.be/people/potins/stromae-sa-tendre-et-rare-declaration-d-amour-a-sa-femme-coralie-barbier-1386304.aspx)

3.2. Je t’aime en tant qu’acte assertif

La formule je t’aime fonctionnant comme un acte assertif fait référence aux catégories cognitives de connaissance et de vérité. Dans ce cas-là, elle sert à engager la responsabilité du locuteur sur l’existence d’un état de choses et sur la vérité de la proposition exprimée.

Dans

[3] Je t’aime, Riccardo. Vraiment, je t’aime. (Jacqueline Romilly, Les Œufs de Pâques, 1993)

la véracité de la proposition est mise en relief par l’adverbe d’énonciation vraiment. De plus, le fait de répéter la même formule permet au locuteur d’attribuer à l’énoncé un supplément de force expressive.

Les deux exemples ci-dessous illustrent cette fois-ci le cas, où le locuteur fait appel aux connaissances de son interlocuteur ou d’un tiers :

[4] Je t’aime, tu sais. Tu es la femme de ma vie. (Frantext, Christine Angot, Rendez-vous, 2006)
[5] L2 : quoi je t’aime NNAAMMEE je t’aime
L3 : ça va passer ça aux oreilles des profs
L2 : ah ben normalement oui
L3 : d’accord. (ORFEO)

Ajoutons encore que la formule étudiée est susceptible de se combiner avec les adverbes collocatifs intensifieurs (je t’aime passionnément, profondément, éperdument, infiniment, follement) ou les locutions intensifieuses (de tout mon cœur, de toutes mes forces, à la passion, à la folie, comme un fou, à en mourir[9]).

3.3. La formule je t’aime réalise-t-elle un acte déclaratif ?

Dans ce cas de figure, le statut de la formule qui nous intéresse semble être plus complexe : la déclaration d’amour se fait à l’aide d’un énoncé performatif ne comportant pas de verbe performatif, mais « avec une force illocutoire déclarative, qui change l’univers par sa profération ». Cette interprétation s’appuie sur la conception large de l’énonciation performative proposée par Austin : « en le disant, on le fait » (Biagioli, 1998 : 206). En outre, un ensemble de forces illocutoires différentes sont mobilisées afin d’« exposer un sentiment à celui qui en est l’objet et déclencher une réponse symétrique » (ibidem). À son tour, si l’on adopte la définition d’un acte déclaratif proposée par Vázquez-Orta et Dirven (cf. 1.2.), je t’aime ne fait pas partie de ce type d’acte parce que le fait de proférer cette formule ne permet pas d’instaurer une nouvelle réalité sociale[10]. Comme le remarque Lemeilleur (2017 : 2), la situation dans laquelle les amoureux se déclarent leur amour devant des témoins se vit au travers des célébrations civiles ou religieuses, qui « restent très formatées par le Code civil ou la liturgie ».

4. Les emplois non prototypiques de la formule je t’aime

Dans ce type d’emploi, on a affaire aux actes indirects dont l’interprétation est inférée à partir des connaissances linguistiques et extralinguistique, ainsi que des capacités d’inférence de l’allocutaire.

4.1. Je t’aime en tant qu’acte commissif

Si l’on fait appel à la conception austinienne des commisifs, on peut constater que la formule en question sert à créer une obligation du côté du locuteur ; celui-ci, en l’énonçant intentionnellement, dans un contexte approprié, accomplit un acte de promesse[11]. Dans les exemples cités ci-dessous, c’est la présence du complément circonstanciel de temps apparaissant dans le cotexte à droite qui permet d’inférer qu’il s’agit d’un acte commissif :

[6] Je t’aime pour toujours. (Frantext, Julia Kristeva, Les Samouraïs, 1990)
[7] « Mon amour, je t’aime pour l’éternité. » (Fantext, Gabriel Matzneff, Ivre du vin perdu, 1981)
[8] Je t’aime plus que tout, pour toujours.
(https://twitter.com/Gom4rt_/status/1299889487061884934)
[9] Stacy@Stacy29020827·13 cze 2019
@Pasquier1119
toute ma vie je t’aime 🖤
(https://twitter.com/tweetsamoureux/status/1139215871442898949)

4.2. Je t’aime comme formule de remerciement indirect

Dans ce cas de figure, la valeur illocutoire de la formule dont il est question correspond à celle véhiculée par merci. Cette dernière sert à exprimer la gratitude envers l’interlocutaire : l’assertion est alors focalisée sur le remercieur et ses sentiments envers le remercié (Łobko, 2020 : 167) :

[10] Peux-tu apporter du lait, ce soir ? » Ah ! oui !… Je t’aime !
(
https://couple-zero-routine.com/je-taime-je-taime-bien/)

4.3. Je t’aime comme formule de clôture

Dans le cadre interactionnel approprié, je t’aime peut soit constituer une clôture de la conversation, soit renforcer un « au revoir » ou une autre formule à fonction phatique :

[11] La chronique du New York Times. Modern Love : en première ligne de la pandémie, « je t’aime » veut parfois dire adieu
« Je t’aime. » C’est ce que j’ai dit à ma femme avant d’ajouter dans un murmure : « Au revoir. »
« Je t’aime », m’a-t-elle répondu en se retournant.

J’aurais tant voulu m’approcher d’elle, caresser ses cheveux et sa peau, l’embrasser. À contrecœur, je me suis empressé de quitter la pièce, ne sachant pas quand je la reverrai.
(https://www.courrierinternational.com/article/la-chronique-du-new-york-times-modern-love-en-premiere-ligne-de-la-pandemie-je-taime-veut)
[12] …… allez bisous NNAAMMEE je t’aime ciao ciao
(https://orfeo.ortolang.fr/annis-sample/tufs/07MADMC110912.html)
[13] Et toi, ça va ? Bon, il faut que je te laisse…. , allez bisou, je t’aime. Je te rappelle demain. Salut. (Anna Gavalda, Ceux qui savent comprendront, 2000)

Dans certains contextes, je t’aime est également traitée comme une expression de comportement d’affection avant le coucher. Elle s’accompagne alors d’une formule votive :

[14] Bonne nuit, je t’aime. À demain matin.
(https://laviedesreines.com/citations/100-sms-pour-dire-bonne-nuit-mon-amour/)
[15] Dors bien, je t’aime.
(https://www.linternaute.fr/actualite/guide-vie-quotidienne/1413501-sms-bonne-nuit-exemples-de-message-romantique/)
[16] Cyprien @MonsieurDream·1 wrz 2007
moi aussi je t’aime ! dors bien mon cœur, @ dem@in !
(https://twitter.com/monsieurdream/status/241541512)

4.4. Je t’aime en tant qu’adoucisseur

Il convient de rappeler que le locuteur se sert parfois de je t’aime afin de relativiser l’allure catégorique de son propos et de maintenir ainsi un lien affectif avec l’interlocuteur. L’hypothèse suivante est que, dans ce type de contexte, le recours à je t’aime constitue une stratégie de politesse ayant pour but de minimiser les probabilités de conflit inhérent à tout échange. Lakoff (1977 : 88) fait figurer cette stratégie parmi les trois règles de compétence pragmatique, en proposant la paraphrase comme suit : Mettez l’autre à l’aise Soyez amical [« Make A feel good be friendly »]. L’application de cette règle lors de l’échange a pour effet de mettre les interlocuteurs sur un pied d’égalité et de renforcer leur intimité[12] :

[17] – « Peux-tu apporter du lait, ce soir ? » Ah ! oui !… Je t’aime ! et n’oublie pas de passer prendre les enfants à la garderie !
(https://couple-zero-routine.com/je-taime-je-taime-bien/)
[18] – Je ne pourrais pas venir chez tes parents demain.
– Tu exagères ! Je t’avais prévenu 2 mois à l’avance !
– Je t’aime….
(https://www.dimojo.fr/blog/15596-6-astuces-pour-resoudre-les-petits-problemes-de-couple)
[19] Peux-tu sortir les vidanges ?.... Allez, c’est à ton tour ! S.V.P., je t’aime !
(https://couple-zero-routine.com/je-taime-je-taime-bien/)

Ce « je t’aime » du quotidien du couple, souvent répété perd sa valeur expressive, individuelle au profit d’une valeur conventionnelle, intersubjective, conforme aux règles sociales et culturelles (Neveux, 2022).

Il est intéressant de souligner que, dans certains usages, le scénario prototypique de la déclaration d’amour semble ne plus être réalisé. On dit alors je t’aime aux personnes que l’on ne connait pas :

[20] Obama, « je t’aime ! »
« Je t’aime ! », lui a alors lancé quelqu’un dans la foule. « Je vous aime aussi, mais vous devez voter ! », a répondu l’homme politique aux talents oratoires et charisme évidents.
(https://www.nouvelobs.com/monde/20221105.AFP5185/biden-et-obama-exhortent-a-defendre-la-democratie-trump-veut-sauver-le-reve-americain.html)

4.5. Je t’aime comme formule à valeur appréciative

Pour terminer, nous souhaitons également signaler que la formule qui nous intéresse se rencontre souvent sur les réseaux sociaux. Elle fonctionne alors comme un énoncé conventionnel permettant d’exprimer des sentiments positifs envers les personnes connues, choisies comme idoles : vedettes du spectacle, de la chanson ou personnalité à la mode, qui est très admirée et adorée. Le statut des deux interlocuteurs n’est pas alors le même. Dans cet emploi, dire je t’aime signifie « j’aime bien ça », « ça me plait » :

[21] @wuytsfrederic420
2019
Je t’aime Zaz, ne change jamais, tu es parfaite !!
(https://www.youtube.com/watch?v=5ZDsCJ4rGD4)
[22] Myriam feytout
2019
je t aime !!! Continue à nous faire rêver merci.... prends soin de toi.......
(https://www.youtube.com/watch?v=KDcgOpUp2nc)

Conclusion

À l’issue de cette brève étude, nous pouvons observer que la formule je t’aime, en tant qu’acte de langage, possède un statut complexe et ne se prête pas facilement à une classification. Elle est apte à réaliser un acte expressif ou assertif, mais son appartenance à la catégorie des déclaratifs (performatifs) ne semble pas univoque. Ce statut peu clair résulte du fait que certaines règles conditionnant normalement la réussite de l’acte déclaratif (ou performatif) ne peuvent pas être appliquées à je t’aime.

Les autres questions qui méritent d’être signalées sont liées à la polyfonctionnalité de la formule étudiée, ainsi qu’à l’affaiblissement de sa force illocutoire lorsqu’elle devient une expression ritualisée. L’analyse effectuée met aussi en évidence la nature sociale de l’interaction et l’importance du cadre interactionnel pour l’interprétation des types d’actes de langage dans lesquels la formule je t’aime apparaît.



*Anna Krzyżanowska – est professeure à l’Université Marie Curie-Skłodowska de Lublin. Ses principaux domaines de recherche portent sur la sémantique lexicale, la phraséologie et la linguistique contrastive. Ses recherches récentes se focalisent sur les phraséologismes pragmatiques utilisés dans des situations de communication spécifiques. Elle a dirigé, pour la partie polonaise, le projet Polonium « Pragmatèmes en contraste : de la modélisation linguistique au codage lexicographique ». anna.krzyzanowska@mail.umcs.pl


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Notes de bas de page

  1. Au sens où l’entend Searle (1972).
  2. Ajoutons encore que quatre conditions doivent être respectées pour qu’on puisse ranger la formule je t’aime parmi les actes de langage : 1. Il s’agit, pour une histoire conversationnelle donnée, de la première occurrence de l’énoncé ; 2. Cet énoncé se réalise bien sous la forme explicite et standard « je t’aime » ; 3. Il est adressé à la personne concernée ; 4. Le verbe « aimer » y désigne cette forme d’amour que le Petit Robert définit comme suit : « inclination envers une personne, le plus souvent à caractère passionnel, fondée sur l’instinct sexuel, mais entraînant des comportements variés » (Kerbrat-Orecchioni, 1998 : 17).
  3. Il m’a dit : « je t’aime » n’est pas paraphrasable par « Il m’a aimé », alors que cette opération est admise dans le cas de l’acte de remerciement (Il m’a dit : « je te remercie » « Il m’a remercié »). On peut contester aussi la véracité de je t’aime : « Mais non tu ne m’aimes pas ». Par contre, ce n’est pas le cas du remerciement.
  4. Notre analyse repose sur des données prélevées dans Frantext (808 occurrences) et dans la partie orale d’ORFEO (9 occurrences). On a pris également en compte des occurrences trouvées sur les réseaux sociaux : Twitter ; http://www.youtube.com ; la presse électronique (300 occurrences).
  5. Cela veut dire qu’elle est dite au moyen du lexique, montrée et inférée à partir d’un ensemble de caractéristiques de l’énoncé, ainsi que la représentation dans le discours (Micheli, 2014 : 17).
  6. La réciprocité se manifeste « selon la modalité anticipative du don, qui n’exige, voire n’attend, rien en retour ». Cette dimension de l’amour est tributaire des images sociales de l’homme et de la femme (Genard, 1995 : 9).
  7. On trouve cette idée chez Finkielkraut (1976 : 522) : « Disant ʻje t’aimeʼ, il s’agit à la fois pour moi d’avoir barre sur l’Autre et de le mettre à égalité ».
  8. Le terme d’adresse utilisé (Coralie) permet d’identifier la personne à qui la déclaration d’amour est adressée.
  9. Cf. Izert et Pilecka (2021 : 30, 32).
  10. En revanche, elle se trouve instaurée au moyen des formules prononcées par une personne investie de l’autorité requise lors de la cérémonie du mariage : En vertu des pouvoirs qui me sont conférés par la loi, je vous déclare maintenant unis par les liens du mariage.
  11. Selon Fehlmann (2005 : 33-34), celui qui promet ne fait qu’anticiper sur un effet perlocutoire, qui se produira ou non dans un futur. Il en découle que le locuteur manifeste seulement l’intention de viser cet effet.
  12. Il semble que cet usage puisse également témoigner des pratiques familiales de routine.

COPE

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Received: 25.10.2022. Accepted: 14.01.2023.