ACTA UNIVERSITATIS LODZIENSIS
Folia Litteraria Romanica 18, 2023
https://doi.org/10.18778/1505-9065.18.01

Andrzej Napieralski

Avant-propos


Comment dire et nommer les émotions ? Les contributions du présent ouvrage cherchent à trouver des réponses à cette question en offrant une exploration approfondie et nuancée de ce phénomène complexe, si important à l’époque de la pathémisation des discours médiatiques et des commentaires émotionnels sur les réseaux sociaux. À travers une diversité d’approches linguistiques, littéraires et socioculturelles, les articles réunis dans ce tome abordent les multiples facettes de l’expression émotionnelle, depuis les discours médiatiques jusqu’aux interactions en ligne, en passant par la littérature et l’enseignement des langues. L’objectif est de fournir un panorama riche et actuel des recherches menées sur les émotions, offrant ainsi une perspective pluridimensionnelle pour mieux comprendre comment elles sont perçues, exprimées et interprétées dans la société contemporaine.

Le présent ouvrage propose donc un recueil d’études provenant de différentes approches : linguistique, littéraire et didactique, dont le fil conducteur est l’émotion. Le volume regroupe 12 articles en français, espagnol et italien repartis autour des trois axes thématiques mentionnés, ainsi que deux textes dans la rubrique Varia et deux comptes rendus d’ouvrages parus en 2022.

Les sept premières contributions offrent une exploration approfondie et pluridimensionnelle du phénomène étudié en adoptant une perspective linguistique, mettant ainsi en évidence les multiples facettes des émotions sous différents angles.

Jean-Pierre Goudaillier entreprend une recherche dédiée à Alfred Delvau, l’auteur du Dictionnaire de la langue verte de 1867. À travers son travail, il nous plonge dans un vocabulaire aujourd’hui quelque peu oublié, celui de l’amour illicite, en se concentrant spécifiquement sur la prostitution au XIXe siècle. Les lexies analysées étaient largement attestées à l’époque dans la presse ainsi que dans les œuvres des grands auteurs de la littérature française tels que Gustave Flaubert, Victor Hugo ou Emile Zola. Justyna Groblińska se concentre sur la manifestation des émotions dans les noms d’organisations à but non lucratif en Italie. En analysant plus de 100 000 termes, l’étude examine comment les Italiens expriment les émotions à travers les noms d’organisations. Les émotions sont exprimées à des niveaux grammaticaux, sémantiques, rhétoriques et extralinguistiques, en utilisant des affixes, des mots, des métaphores et des symboles graphiques. La recherche met également en évidence la fonction pragmatique, sociale et marketing de la référence aux émotions dans les noms d’organisations sociales. Anna Krzyżanowska se penche sur les différentes valeurs illocutoires de la formule « je t’aime » dans un contexte d’interaction spécifique. L’auteure, dans son étude concernant ce sentiment et les émotions qu’il procure, se réfère à deux types d’emplois qui ont été identifiés : un emploi prototypique et un emploi non prototypique, correspondant respectivement à des actes directs et des actes indirects de langage. L’analyse souligne l’importance du cadre interactionnel et met en évidence la dimension sociale de l’interprétation des actes de langage associés à cette formule. Cécile Marchal s’intéresse à l’analyse de la persuasion argumentative et de la figuralité dans le discours lié au lobbying. Son étude met en évidence les techniques linguistiques utilisées par le lobbying pour convaincre, ainsi que l’utilisation de ces mêmes techniques par l’opinion publique pour dénoncer les activités du lobbying. Les stratégies de persuasion et de figuralité sont analysées dans le contexte des écrits scientifiques et médiatiques, permettant de caractériser la culture sociale et le rôle du lobby dans la société. Ewa Pirogowska vise à synthétiser les observations sur l’utilisation des éléments prosodiques dans les discours sur des questions juives qui peuvent dériver en discours antisémites. Son étude se base sur des interactions internet authentiques portant sur les activités de Dieudonné M’bala M’bala en France à partir de 2009 et sur les performances de Rafal Betlejewski en Pologne à partir de 2007. L’auteure examine les imitations graphiques de la prosodie, telles que la prononciation marquée, l’accentuation du sujet de l’énoncé et les jeux de mots basés sur l’homonymie, soulignant leur rôle émotionnel et argumentatif. Annabelle Seoane et Marie Chagnoux analysent l’utilisation du discours direct dans les titres de presse parus à la suite des attentats de novembre 2015 à Paris, où les émotions occupent une place centrale. Elles soulignent que contrairement aux principes de neutralité habituels, les médias ont fait appel à des citations directes pour refléter l’émotion collective qui entourait ces événements. Cette utilisation du discours direct, donnant la parole aux victimes, aux soignants, aux témoins et aux citoyens, a permis de créer une mosaïque émotionnelle collective essentielle pour appréhender la douleur et amorcer le processus de deuil et de compréhension. La contribution d’Agnieszka Woch et de Filip Kolecki porte sur la féminisation des noms de métiers et de titres en Pologne, ainsi que sur la réception émotionnelle de ces termes. Les auteurs remarquent que même si la féminisation est très présente dans certains milieux les moins conservateurs, l’absence de réglementation officielle pourrait conduire à un rejet de termes féminisés par certains locuteurs polonais, comme en témoignent les commentaires émotionnels sur les réseaux sociaux utilisant un lexique dévalorisant. Cette recherche, basée sur l’analyse de commentaires postés sous la campagne Facebook #wspieramfeminatywy, lancée par BNP Paribas en Pologne en 2022, met en évidence les arguments des détracteurs de la féminisation en les comparant à ceux présents dans l’espace francophone.

La deuxième partie de ce volume explore le rôle et la représentation des émotions dans la littérature, fournissant ainsi une perspective enrichissante sur leur influence dans le domaine littéraire. Erica Nagacevschi Josan appuie son analyse sur l’expression des émotions dans « Frappe-toi le cœur » d’Amélie Nothomb, mettant en lumière les moyens lexico-sémantiques utilisés par l’auteure pour représenter les états émotionnels. L’étude se concentre sur l’utilisation des dialogues, qui jouent un rôle central dans l’intrigue et révèlent l’hybridité de l’écriture de Nothomb, mêlant le polar, la théâtralisation et l’autofiction, tout en explorant les questions existentielles et les processus psychiques des personnages. Cette approche permet de saisir la spécificité linguistico-culturelle de la représentation émotionnelle dans la littérature contemporaine. L’article de Katarzyna Wojtysiak-Wawrzyniak constitue une réflexion sur la réception de l’héritage de l’Antiquité méditerranéenne dans le théâtre, en se concentrant sur Ulysse, dont le comportement a toujours provoqué des émotions et discussions, et surtout sur la présence de l’Odyssée dans le théâtre espagnol du XXe siècle. L’étude examine l’influence, l’utilisation et la transformation de l’Odyssée dans trois œuvres théâtrales : El retorno de Ulises (1946) de Gonzalo Torrente Bellester, La tejedora de sueños (1952) d’Antonio Buero Vallejo et ¿Por qué corres Ulises? (1975) d’Antonio Gala. Cette analyse met en évidence la structure mythologique comme fondement de l’imagination créative dans le théâtre.

Les contributions qui suivent s’inscrivent dans le contexte des recherches en didactique des langues. Raha Bidarmaghz propose une étude portant sur l’enseignement de la phraséologie liée aux sentiments en FLE, et s’inscrivant dans une nouvelle approche lexicale du français langue étrangère. En se basant sur la combinatoire des unités lexicales et les grammaires de construction, l’auteure examine des unités phraséologiques et présente le modèle fonctionnel de Novakova appliqué au lexique des transactions commerciales. En utilisant la démarche didactique proposée par Cavalla & Labre, l’article illustre la phraséologie du lexique des sentiments dans le contexte des transactions d’affaires. Joanna Kopeć met en avant l’enseignement du lexique émotionnel lié à la solitude et au silence en Français Langue Étrangère. L’auteure applique la théorie de la métaphore conceptuelle pour faciliter l’apprentissage de ce lexique complexe. L’expérimentation menée avec des étudiants de philologie romane montre l’efficacité de cette approche dans le développement des compétences rédactionnelles et lexicales. La recherche de Camille Vorger se concentre sur un atelier des émotions en maternelle, mené avec des enfants de 5-6 ans au printemps 2022. L’étude vise à comprendre comment cet atelier permet aux enfants d’exprimer leurs émotions à travers différents canaux, y compris le langage corporel. L’article explore également comment les enfants sont capables de créer de nouveaux mots et expressions pour mieux exprimer leurs émotions.

La dernière section du volume intitulée Varia regroupe deux articles à la marge du thème de cet ouvrage mais apportant ainsi une diversité et une perspective pluridisciplinaire à l’ensemble. La contribution de Magdalena Lipińska se focalise sur les priamèles du Livre des Proverbes, qui se distinguent en tant que groupe particulier parmi les parémies. L’analyse formelle, stylistique et pragmatique démontre leur caractère non homogène. Ces priamèles, notamment ceux à plusieurs éléments cités, se démarquent des proverbes prototypiques par leur syntaxe plus complexe et des schémas récurrents, ainsi que par l’utilisation de différentes figures de style qui renforcent leur caractère poétique. La transgression des maximes de pertinence, de quantité et de modalité, ainsi que l’expression d’une intimité entre l’émetteur et le récepteur, confèrent aux priamèles une force communicative particulière. Pierre Van Cutsem, dans son article, examine la structure du roman Le Labyrinthe de Maurice Sandoz pour déterminer sa classification dans le genre fantastique. En utilisant les théories classiques du fantastique, l’article souligne les éléments qui posent des problèmes terminologiques, du fait que ces éléments relèvent à la fois du fantastique et du merveilleux selon les théories canoniques de Todorov et Caillois. Une analyse approfondie des avant-propos sandoziens révèle comment l’auteur joue avec les limites et les hésitations, notions cruciales dans les théories du fantastique, en brouillant les frontières entre l’auteur, le narrateur, le récit et la réalité. Cette étude constitue une première étape vers une analyse approfondie du fantastique chez Sandoz et met en évidence la nécessité d’un changement de perspective dans son appréhension.

Le volume se clôt sur les deux comptes rendus détaillés. Le premier est rédigé par Maria Chiara Salvatore et propose une lecture critique de l’ouvrage de Charles Sorel intitulé : L’Ingratitude punie. Histoire cyprienne où l’on voit les aventures d’Orphize, édité par Marcella Leopizzi et Olivier Roux, publié chez Classiques Garnier à Paris en 2022. Le deuxième compte rendu, dont l’auteure est Sylwia Kucharuk, porte sur l’ouvrage de Katarzyna Kowalik : La realtà dell’Italia post-unitaria nelle opere di Alfredo Oriani, publié par Wydawnictwo Uniwersytetu Łódzkiego à Łódź en 2022.


COPE

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